samedi 15 décembre 2007

Le QI ... inné ou acquis ? les 2 !

Encore un intéressant exemple qui met en évidence combien chercher à trouver si une capacité cognitive est innée ou acquise n'est pas une manière efficace d'aborder le problème ! C'est plutôt comment l'un interagit avec l'autre qui est intéressant a explorer et finalement bien plus utile.
Coluche dans un de ses sketches :
"L'intelligence, c'est la chose la mieux répartie chez l'homme, parce que quoi qu'il en soit pourvu, il a toujours l'impression d'en avoir assez vu que c'est avec ça qu'il juge..."
On répète souvent qu'il citait Descartes, en fait je crois qu'il faisait allusion à
"Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée (...] La puissance de bien juger, et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens, ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes. "
René Descartes Discours de la méthode
On sait bien que le QI n'est pas une mesure indiscutable de l'intelligence, mais certains tests (Wechsler notamment) produisent des valeurs répétitibles et comparables avec certaines précautions. Aussi on l'utilise encore passablement. Il est un raisonnablement bon prédicteur de réussite scolaire. Sa valeur augmente régulièrement - depuis qu'on le mesure - d'environ 3 point par décennie. Son héritabilité est abondamment discutée (p.ex. ici). Le débat sur la porté et la pertinence de ce chiffre n'est pas clos et probablement pas intéressant.
Reste que la plupart des gens souhaiteraient que leurs enfant ait un QI plutôt élevé !

Nous parlons ici du QI et non de l'intelligence !

Utilisons donc ce chiffre avec prudence. Et aidons les élèves à travailler avec des concepts qui ne sont pas noir ou blanc, juste ou faux. Le QI n'est pas faux, ni vrai: il n'est pas une bonne mesure de l'intelligence (qu'on aurait de la peine à définir de manière définitive), ni de toutes les intelligences. Il est cependant utilisable avec précautions.

L'allaitement au lait maternel est favorable au QI, mais surtout si on a le bon gène...

Un exemple récent illustre bien combien le débat inné acquis est mal posé : une recherche par Caspi, A. et al.(2007) publiée dans PNAS révèle que précisément que c'est dans l'interaction entre certains gènes et certaines méthodes d'allaitement que se joue l'effet favorable sur la valeur de QI
Matt Kaplan nous en parle dans une news de nature The gene that turns breast-milk into brain food (intranet).
Getty
L'allaitement au sein est considéré comme favorable pour de nombreuses raisons. On avait observé que les enfants nourris au sein ont en général un QI plus élevé

Scores de QI moyen selon le mode d'allaitement et les allèles du gène PADS2 (C, ou G) En bleu foncé allaitement au sein.

Dans cette étude statistique sur des population en Nouvelle-Zélande (n=1'037) et en Grande-Bretagne (n=2,232) Caspi et al. ont trouvé que les gains sont respectivement de 5.6 et 6.3 points de QI mesurés à 5, 7 ou 9 ans.

On soupçonne depuis un temps fortement les acides gras poly-insaturés qu'on trouve dans le lait humain mais pas celui de la vache. L'acide docosahexaenoique (DHA; 22:6n-3) et arachidonique (AA or ARA; 20:4n-6)) On sait que des quantités substantielles de DHA et de AA s'accumulent dans le cerveau humain durant les premiers mois de la vie et que le enfants nourris au sein ont des concentrations de DHA et d' AA que les enfants nourris au lait pour biberon habituel (sauf en cas d'apport de ces acides gras)

Variantes de ce gène vs. QI ?
Ils ont alors cherché quelle variante du gène FADS2 les enfants avaient : un frottis buccal a permis d'identifier les allèles dont chaque enfant était porteur. (En fait ils ont cherché les SNP qui révèlent la variante présente.)
C et G
Ensuite ils ont cherché s'il y avait un lien entre les variantes de ce gène et le QI mesuré :
Ils ont trouvé que selon la variante qu'avaient les enfants d'un SNP au nom charmant de rs174575 leur QI était statistiquement différent.
En moyenne les porteurs de l'allèle C avaient 7 (NZ) et 6.3 (GB) points de QI de plus quand ils sont nourris au sein alors que les homozygotes GG qui étaient dans la moyenne quel que soit le mode d'alimentation.

Que sont ces variantes C et G ?
Les SNP (Single Nucléotide Polymorphism) sont des différences identifiées du génome dont on connaît la position et qui sont faciles à tester (je présume par PCR) elles sont répertoriées dans des bases comme dbSNP et nous pouvons y accéder facilement.

Notons bien que les SNP sont des sortes de marqueurs : c'est un peu comme regarder l'ADN par plein de petits trous de serrures : dans cet article Caspi et al. n'a pas travaillé sur la séquences réelles des variantes de ce gène : on distingue simplement ceux qui ont à cette position particulière (le SNP) un C ou un G
On imagine évidemment que probablement de nombreuses autres bases sont aussi différentes avant et ou après ce SNP. Mais la variante de ce SNP indique d'un changement dans l'ADN là ou très près de cette position.

Pour explorer un peu plus ou faire explorer :
Ainsi ce n'est dans ce cas ni la génétique ( la variante C ou G du gène FADS2 que possède un nourrisson), ni l'environnement (la méthode d'allaitement) qui compte... c'est l'interaction entre l'un et l'autre : "genes may work via the environment to shape the IQ" (Caspi, 2007)

Pourquoi l'allèle moins performant existe-il encore ?
Peut-être que l'allèle G protégerait les enfants dans des circonstances où ils ne reçoivent pas assez de lait maternel. Dit une psychologue du développement, Linda Gottfredson, à l'University of Delaware à Newark.
"It is almost as though the G allele evolved as a protective genotype for children who might not get enough breast-milk,".
Personnellement je ne trouve pas cet argument très convaincant, et vous ?
Ainsi le débat sur l'inné et l'acquis s'avère encore une fois mal posé : comment l'environnement et les gènes influencent-ils telle ou telle caractéristique est plutôt la question !
Merci de me signaler toute erreur ou omission, j'écris avec probablement pas mal de fièvre !
Sources
  • Caspi, A. et al.(2007) Moderation of breastfeeding effects on the IQ by genetic variation in fatty acid metabolism. Proc. Natl Acad. Sci. USA doi: 10.1073_pnas.0704292104 (2007). (intranet)

  • Matt Kaplan, 2007 The gene that turns breast-milk into brain food Nature new 5 November 2007 | Nature | doi:10.1038/news.2007.217 intranet

  • L'abstract de l'article PNAS de Caspi Children's intellectual development is influenced by both genetic inheritance and environmental experiences. Breastfeeding is one of the earliest such postnatal experiences. Breastfed children attain higher IQ scores than children not fed breast milk, presumably because of the fatty acids uniquely available in breast milk. Here we show that the association between breastfeeding and IQ is moderated by a genetic variant in FADS2, a gene involved in the genetic control of fatty acid pathways. We confirmed this gene-environment interaction in two birth cohorts, and we ruled out alternative explanations of the finding involving gene- exposure correlation, intrauterine growth, social class, and maternal cognitive ability, as well as maternal genotype effects on breastfeeding and breast milk. The finding shows that environmental exposures can be used to uncover novel candidate genes in complex phenotypes. It also shows that genes may work via the environment to shape the IQ, helping to close the nature versus nurture debate.