mercredi 30 janvier 2008

un commando de 9 prend le contrôle de 273 !

Le VIH nous attaque avec 9 gènes à lui et 273 protéines à nous !

Le VIH contient 9 gènes qui produisent 15 protéines et bien sûr, comme tous les virus il exploite les mécanismes biochimiques de la cellule. Mais on ne savait pas exactement quelles protéines humaines lui étaient nécessaires pour son oeuvre maléfique. On ne connaissait que 36HIV dependency factors (HDF) dont bien sûr le récepteur CD4 des lymphocytes et les 2 co-receptors, CXCR4 ou CCR5 nécessaires à la fixation du virus.

Dans une publication qui pose les jalons d'une approche nouvelle, Brass et al (2008) ont utilisé les nouvelles librairies de RNA interférant (SiRNA) pour désactiver séparément chacun des gènes humains connus et voir si le VIH pouvait se reproduire dans ces cellules à un seul gène inhibé.

Le RNA interférant : un Nobel majeur ?
Le terme de RNA interférant est à peine connu depuis 10 ans et le prix Nobel de 2005 à Andrew Fire et Craig C. Mello consacrant l'importance de ce mécanisme à peine distribué, que des applications innombrables en recherche se développent et ouvrent de nouvelles perspective sur de nombreux problèmes.

Le RNA interférant en quelques mots


Figure 1 : le mécanisme de l'interférence ARN nobel.org

En très gros on peut résumer le mécanisme de l'interférence à RNA ainsi
- Si un ARN double-brin (DsRNA) apparaît dans la cellule (qu'il soit introduit, ou issu du génome), il est coupé par l'enzyme Dicer à une longueur précise de 21-23bases (cela devient un SiRNA)
- Un complexe enzymatique RISC le prend en charge, sépare les deux brins du SiRNA et lorsque le brin SiRNA trouve à s'apparier sur une ARN messager, une partie de RISC (slicer ou argonaute) coupe cet ARNm.
-L'ARNm ainsi exposé est rapidement dégradé par d'autres enzymes. En effet les nouvelles extrémités produites n'ont pas de 5' cap ni de terminaison polyAAAAAA qui protègent normalement ces extrémités contre les ribonucléases.
- Fin de la traduction de cet ARNm.

La possibilité de désactiver (ou au moins fortement limiter l'expression : on réduit de 80-90%) les gènes à un endroit et à un moment donné sans devoir créer un organisme génétiquement modifié est extrêmement féconde !

D'innombrables applications en recherche et bientôt en médecine ( désactiver des gènes pour lutter contre les virus, le cancer, ou comme thérapie génique paraît très prometteur).


Pour en savoir plus sur le RNAi
Le papier de la décennie ?

Robert Gallo - qui a joué un rôle décisif dans la découverte du VIH - déclare que ce papier sera un des plus décisifs de la décennie dans le domaine... En effet cette méthode peut être appliquée a de très nombreux autres virus ou pour étudier de manière analogue d'autres maladies, comme le cancer. De plus chaque dépendance du VIH peut constituer une piste pour limiter le développement du virus.




Fig. 1 : img Le VIH (tout en haut) dépend de plus de 250 protéines humaines pour infecter les cellules immunitaires, entrer dans le noyau, s'intégrer dans le noyau et produire des copies virales. (source A.L. Brass, Science)

Brass et al (2008) ont trouvé ces 273 gènes (HDF) en utilisant des librairies exhaustives de SiRNA dont on dispose depuis peu. L'article ne le dit pas , mais on a probablement cherché avec des outils bioinformatique une séquence de 21-25 bases qui soit spécifique à chacun des gènes, et on a produit une librairie avec ces séquences.

Ils ont pris des cultures de cellules humaines et les ont inactivé avec un SiRNA spécifique de chacun des gènes humains connus et ont testé si le VIH pouvait les infecter et se reproduire. Au total ils ont donc testé plus de 21'000 colonies de cellules désactivées pour un seul gène. La méthode de détection est illustrée en Figure 2A et il faut se référer à l'article pour une explication complète, mais on voit qu'ils ont réduit l'activité du gène par du SiRNA durant 72 heures, puis infecté avec le virus et mesuré avec un test en 2 parties pour mettre en évidence après 48 heures l'action éventuelle sur l'activité initiale du virus (entrée, -> premières traductions) et encore 24 h plus tard pour en évidence l'action sur les protéines tardives ( liées à l'assemblage et à la sortie du virus).



Fig. 2 A : La méthode de screening . (Source A.L. Brass, Science)

La méthode rigoureuse et bien étayée de ce papier promet d'être une référence pour guider bien des étudiants dans leurs recherches dit Warner Greene, qui dirige l'Institute of Virology and Immunology at the University of California, San Francisco.

Quel genre de protéines le VIH détourne-t-il à son profit ?

Ils ont catégorisés les protéines (HDF) en fonction de leur localisation intracellulaire et on voit qu'elles sont près d'un tiers dans le noyau (Réplication, transcription, régulation des gènes, etc. on peut présumer ?) Et un bon quart dans la membrane : pour l'assemblage et la libération du virus sans doute.


Fig. 2 D : La localisation cellulaire des HDF. (Source A.L. Brass, Science)

La recherche fondamentale, les pétunias et les priorités...

Les premières recherches faisant état de ce qu'on appelle maintenant RNAi ont été faites sur des pétunias dont on cherchait à rendre les pétales plus foncés. Et des ARNm en plus ont produit des zones blanches et non pas plus foncés ! D'autres travaux au début des années 1990 ont suivi et il semble qu'on n'a alors pas compris pleinement ce qui se passait (il y a une controverse encore) et on a parlé de "censeurs de gènes" ou homology-dependent gene silencing, et beaucoup pensaient avoir affaire à une bizarrerie de la nature de plus.
Link


Fig 3 Les premieres découvertes d'ARN alors appelé "antisens" ou censeurs se sont faites sur les pétunias (Source Matzke MA, Matzke AJM (2004) Planting the Seeds of a New Paradigm. PLoS Biol 2(5): e133 http://dx.doi.org/10.1371/journal.pbio.0020133

Ensuite Fire et Mello font des découvertes troublantes sur le ver Caenorhabditis elegans (animation) et finissent par élucider le mécanisme. Ils ont eu le prix Nobel pour cela.

Ces 2 exemples montrent bien comment la recherche fondamentale, paraît sur le moment inutile ( Qui aurait alors considéré comme prioritaire d'étudier la couleur des pétunias , ou cet affreux petit ver parasite... ) mais ouvre parfois des pans entiers de recherches nouvelles, l'espoir de thérapies nouvelles et des marchés énormes.

A méditer quand on juge de l'utilité de recherches qui ne sont pas immédiatement applicables !

Un "dogme" ébranlé ?

On le sait depuis peu, le RNAi est un coup de boutoir de plus contre ce que certains voulaient appeler le dogme central de la biologie :
1Gène -> 1 ARNm -> 1 protéine.

D'ailleurs le terme de "dogme" ne convient pas à une approche réellement scientifique, ...non ?

Avec ~20'500 gènes humains (au dernier décompte donné par M.-C. Blatter de Swiss-Prot au Cours de BIST) 100'000 transcrits ARN et plus d'un million de protéines différentes, il y avait de quoi être troublé de toutes façons.
Ce mécanisme n'est pas rare, ni anecdotique : il semble être conservé (= chez une très grand majorité des organismes sans doutes) participe activement à la régulation de l'expression des gènes chez nous aussi.
Donc de nombreux ARNm sont inactivés par ce mécanisme d'interférence avant d'avoir été traduits !

Le RNA interférant : une remise en question majeure de nos cours ?

Peut-on continuer à enseigner -parce que c'est déjà assez compliqué comme ça - sans le mentionner?

Faut-il tout bouleverser ? Entre ces extrêmes il faut peut-être trouver une réponse nuancée selon le degré... C'est sans doute indispensable en 4 ème OS... et peut-être moins en DF ou à l'ECG...

Peut-être aussi pourrait-on ne pas "verrouiller" le sujet lorsqu'on présente ce schéma ADN -> ARN-> Protéine, et laisser des portes ouvertes (dans le style "en simplifiant les choses, disons que ..." "Il y a d'autres mécanismes que nous ne verrons pas en df ..." "pour ceux qui en veulent plus j'ai mis un lien / un document d'approfondissement ici... '') pour que les élèves soient réceptifs à des développements ultérieurs sur ce point ?

Comment a-t-on pu l'ignorer si longtemps ?
On s'étonne a posteriori qu'un mécanisme si important n'ait pas été détecté plus tôt. Peut-être que cela révèle combien les paradigmes de recherche établis sont incontournables, difficiles à changer et combien on ne trouve que ce qu'on cherche... Or bien sûr on cherchait pas le RNAi !

Sources
Ressources didactique

mercredi 23 janvier 2008

Le poisson-archer : des réflexes de gardien incroyables avec 6 neurones !

Le poisson archer spécialiste du tir de précision ...

Dans ces news de Science Pennisi, E. (2008) parle d'une recherche à propos de l'incroyable précision du Poisson archer (Toxotes jaculatrix) pour capturer les proies (insectes) qu'il détache d'une brindille pour les faire tomber dans l'eau.

Le poisson archer projette de l'eau pour détacher ses proies et les faire chuter dans l'eau. Source ScienceNow.

Le Science Podcast, du 4 janvier 2007 en parle aussi ( pour ne pas écouter idiot sur votre iPod?)

On sait depuis longtemps que ce poisson projette de l'eau sur des insectes (jusqu'à 2 mètres, ont mesuré les mêmes chercheurs cf ScienceNOW, 7 Septembre 2004) pour les faire chuter dans l'eau, et la précision de ce tir complexe n'est pas loin de celle de l'ex championne Suisse junior de tir à l'arc Tamara Strasser de Jussy Genève, je pense !

A faire baver les meilleurs gardiens de Foot ...

Ensuite, il se précipite et les attrape. S'il ne va pas assez vite, d'autres poissons pourraient lui chiper cette proie . et c'est de cette phase comparable à celle du gardien de foot proposent-ils que parle cet article-ci.

Video : une Video QuickTime le montre en pleine action et combien il faut agir vite pour devancer la concurrence!

Ce que la recherche de Schuster and Schlegel de l'uni d'Erlangen- Nurnberg ont montré est que ce poisson est extrêmement rapide et précis à se tourner précipiter vers une proie qui tombe de manière difficile à prédire. (Schlegel, Thomas. Schuster, S., 2007). (intranet.pdf)

Toxotes réagit parfois en moins de 40ms à l'apparition d'un insecte tombant dans l'eau ... De quoi faire rêver bien des gardiens de Foot !



Figure 2 img le poisson archer doit se tourner très vite vers la proie délogée pour devancer les concurrents.

Apparemment, bien que leur cerveau soit bien minuscule a côté de celui des humains, ils réussissent mieux que nos as du ballon rond pour cet Euro 2008 que certains attendent avec impatience....




Figure 3 img Les poissons décident en très peu de temps (B) et avec précision (C).
Source science légende complète ici

Ils ont projeté des insectes depuis une plate-forme qui les cachait à la vue des poissons avec des jets d'air.
Ils ont mesuré le temps pour que Toxotes se tourne et se dirige jusqu'à la proie.

Une vitesse et une précision à faire rêver !

Même pour des insectes qu'ils n'ont pas délogés eux-mêmes, ou projetés depuis des plate-formes hors de leur champ visuel, le poisson se tournait et s'élançait a la vitesse de l'éclair.
Même avec plusieurs plate-formes d'où ils ne pouvaient prévoir l'arrivée d'un insecte, cf Figure 3 : (A) les poissons arrivent au but avec une redoutable précision, et parfois en 40 milliseconde.
Quand il y avait deux proies, il en choisissait une - la plus proche en général- et l'attrapait avec autant de célérité que s'il n'y en avait eu qu'une.
En projetant 2 insectes à fois (D) pour tenter de les faire hésiter - une tactique qui marche bien avec certains prédateurs - les résultats sont encore excellents cf. Figure 3 (E et F))
Leur étude soutient qu'un réseau de 6 neurones -bien connu pour permettre d'échapper à un prédateur (Mauthner's cell-associated C-start escape circuitry) - s'activait ici dans un autre rôle.
On sait que dans la rétine un traitement de l'image extrait déjà les directions et mouvements, etc. Mais ils ont montré que depuis les yeux l'information (vitesse, angle, hauteur) est intégrée à la position du poisson et son orientation relative à la trajectoire de la proie dans le cerveau postérieur (hindbrain) puis arrive aux neurones moteurs.

Tout ça avec 6 neurones seulement !

Cela montre que des comportements complexes peuvent être produits avec des circuits de neurones très simples, déclare Russell Poldrack de l'University of California, Los Angeles dans cette news.

Notez qu'ils se sont abstenu de faire un commentaire sur les gardiens de but au football qui n'ont qu'un ballon à poursuivre.

Liens

dimanche 13 janvier 2008

la recherche sur les phéromones à l'UniGE

Ce qu'on sait des phéromones chez l'homme ?

Il se trouve qu'un biologiste de notre UniGe , le professeur Ivan Rodriguez (I. R.) a apporté une contribution décisive à la compréhension de cette question. Le 3 décembre, il nous a accordé une interview pour les Bio-reviews. C'était l'occasion de faire un peu le point sur ce sujet, et de voir comment les recherches actuelles mêlent biologie in vitro, in vivo et in silico (BIST) et comment se sont construites les réponses qu'on peut donner actuellement.

Au départ, il s'intéresse à la neurobiologie et choisit de l'aborder d'un point de vue génétique en utilisant un système neuronal relativement simple et isolé, potentiellement plus facile à analyser, afin de comprendre des mécanismes qui pourraient être plus généraux. De plus les phéromones ont un côté fascinant : qui n'a pas eu un jour l'impression qu'une rencontre s'était faite ou manquée à cause de ces mystérieuses molécules...

Qu'est-ce qu'une phéromone ?

Pour lui c'est "Substance chimique que libère un organisme pour influencer le comportement ou la physiologie d'un autre individu de la même espèce."
Une définition stricte repose sur 5 critères ( Schaal et al. 2003)
  1. simplicité chimique,
  2. induction d'une réponse comportementale invariante ,
  3. sélectivité exclusive du stimulus,
  4. spécificité pour l'espèce, et
  5. absence d'apprentissage.
Ces substances organisent une large gamme de comportements chez les mammifères (notamment la reproduction, la dominance sociale, l'agression et l'attachement parental) (Shepherd, 2006)

L'odorat en général


Pour un bon review de l'odorat en général voir Bac-to-Basics de La Recherche (intranet: 1, 2, 3) ou plus pointu : (Shepherd, 2006 Smell images and the flavour system in the human brain | intranet.pdf) | très accessible : Comment fonctionne l'odorat et le goût @ Hopital Genève.



Anatomie de l'olfaction. Source :Comment fonctionnent l'odorat et le goût ?Hôpital de Genève

Phéromones chez les mammifères La plupart des biologistes pensaient alors que l'activité des phéromones était forcément liée à l'organe voméronasal (VNO) qui est anatomiquement distinct de la muqueuse olfactive (OE) principale.

Source  Kambere and Lane BMC Neuroscience 2007 8(Suppl 3):S2   doi:10.1186/1471-2202-8-S3-S2

Les effets des phéromones identifiés chez la souris sont nombreux : nous avions récemment vu les effets d'un seul gène bloquant les récepteurs phéromonaux sur le comportement sexuel de la souris (Cf Bio-Review lien ici) Dans la revue Campus de l'UniGe Anton Vos avait fait un article au titre provocant "Il est vraiment Phéromonal" qui est intéressant pour stimuler l'intérêt des élèves.

Des phéromones chez l'homme ?

Certains font l'amalgame entre? toutes sortes d'interactions médiées par des substances volatiles et constatées éthologiquement; Il distingue les phéromones stricto sensu, les molécules immunitaires MHC qui peuvent favoriser ou défavoriser les choix de partenaires, et les odorants pour lesquels on a pu acquérir une préférence par association avec des stimuli positifs comme le sexe par exemple. Nous ne traiterons ces effets-là que sommairement et à la fin cet article.

Les phéromones sont principalement perçues par l'organe voméronasal (VNO) chez les mammifères. Pendant longtemps, on a cru que l'activité des phéromones était forcément liée à cet organe, structure qui est anatomiquement distincte de la muqueuse olfactive (OE) principale. L'absence de VNO identifiable anatomiquement chez l'humain adulte, (il existe pourtant clairement chez l'embryon nous dit I. R.) faisait ainsi douter à beaucoup de la réalité d'un mécanisme phéromonal chez l'humain. On sait aujourd'hui que ceci est inexact, l'OE permettant la perception de certaines phéromones, et un effet de nature phéromonale ayant été mis en évidence dans notre espèce.

Jusqu'à 1997, les mécanismes d'action des phéromones à un niveau moléculaire étaient entièrement inconnus chez les mammifères. I. Rodriguez commence ses recherches sur la question au moment où les premiers récepteurs aux phéromones, les récepteurs de type V1R, viennent d'être identifiés chez le rat.

Il choisi d'abord (alors à l'institut Rockfeller aux USA avec P. Mombaerts) de visualiser les circuits utilisés pour la détection des phéromones. A cette fin, il génère des souris Knock-In (similaires aux souris Knock-Out (Cf Bio-Review sur les souri Knock-out ici), ), dans lesquelles un gène codant pour un marqueur fluorescent, intégré génétiquement, est coexprimé avec un gène spécifique de récepteur à phéromone. Cette approche permet de visualiser une population neuronale définie, ainsi que les projections axonales de ces neurones. Ceci a permis de commencer à comprendre comment l'information générée par la perception d'une phéromone est traitée par le cerveau.


V1r L'expression de différents récepteurs Phéromonaux dans le nez de la souris. gene expression within sensory neurons of the mouse VNO. (source Nature Neuroscience) Cf plus précisément (Rodriguez, I. & al. 2002)

Cela lui a permis a permis de comprendre dans quelles populations de cellules ces récepteurs étaient actifs. On a pu ainsi commencer à mettre en évidence les sous-populations de cellules impliquées dans l'activité phéromonale liées à ces récepteurs type VR (majoritairement exprimés dans le VNO) et la manière dont l'information est transmise au cerveau. Comme pour l'odorat en général, ce circuit est particulièrement direct puisque les neurones qui détectent les molécules odorantes projettent directement (sans synapse) à travers le crâne jusqu'au bulbe olfactif.

Comparaison des circuits principaux impliqués dans l'olfaction et les phéromones chez l'homme (b) et la souris (a) Source : Shepherd, G.(2006) (Nature)

Depuis le bulbe olfactif, et pour les informations de nature phéromonale, des neurones secondaire relaient l'information et projettent directement vers l'amygdale*, une structure directement impliquée dans le contrôle des émotions (Cf Bio-Review sur le Thalamus ici). Cette liaison directe ne passe pas par le cortex, n'y est donc pas traitée de manière consciente, mais induit ou participe à des réponses innées, par exemples émotionnelles. Les neurones olfactifs sont directemetn reliés au bulbe olfactif et une seule synapse les relie au Thalamus et à l'amygdale. Source : UQAM - PSY4050 Psychologie de la perception - Jacques Lajoie

On pense par ailleurs que l'amygdale contrôle l'aspect corporel des émotions, et cette liaison directe a fait écrire beaucoup sur les effets émotionnels supposés ou fantasmés des phéromones.

A l'époque (env 1999) I. Rodriguez exploite les techniques de wet-lab pour tenter d'identifier de nouveaux récepteurs à phéromones chez d'autres espèces (lapin, chien, rat etc). Il s'agissait alors de cloner en identifiant par homologie (par hybridation) dans des librairies d'ADN génomique, les fragments qui ressemblent le plus aux quelques gènes VR connus. A cette époque on travaille avec des fragments d'ADN maintenus et multipliés dans des colonies soigneusement identifiées de phages ou de bactéries. C'est un travail long et fastidieux.

I.R. identifie de nouveaux gènes VR et en particulier le premier gène de la famille V1R chez l'homme (et plus tard tous les autres membres de cette famille). (I. Rodriguez, P. Mombaerts, 2002) Novel human vomeronasal receptor-like genes reveal species-specific families. Le gène V1R dans mapviewer pour le situer dans son contexte ici.

Des années plus tard, il montrera que la délétion génétique d'une partie des gènes V1R provoque deux altérations spécifiques chez les souris: chez les femelles un manque de soin aux petits et chez les mâles un manque d'activité sexuelle envers les femelles.

Des années pour trouver un récepteur phéromonal puis la bioinformatique permet d'en trouver 110 en une semaine !

I. Rodriguez parle ensuite de révolution génomique 1999- 2002 qui a complètement changé les perspectives et les stratégies de recherche : D'un seul coup, il est possible d'accéder aux génomes de nombreuses espèce en un seul clic. En analysant ces banques de données grâce à des programmes de recherche d'homologie comme BLAST par exemple, il identifie en moins d'une semaine 110 nouveaux gènes chez la souris. Une incroyable jubilation !

Nous pouvons suivre un peu la démarche avec nos élèves et effectuer un BLAST a partir du gène humain VN1R5 (ici + choisir VN1R5_Human et cliquer BLAST) on trouve un gène chez le gorille qui est quasi-identique et de très nombreux gènes similaires chez la souris, le rat, et d'autres !

Ces techniques bioinformatiques ne s'opposent pas mais s'intègrent à l'activité d'un biologiste actuel : Il nous explique qu'afin de vérifier les informations obtenues in silico, on retourne au wet-lab avec ces nouvelles séquences identifiées par bioinformatique, puis on produit (ou on commande) les primers correspondants, on amplifie de l'ADN génomique par PCR (qui permet de "pêcher" la séquence recherchée), et on clone l'amplicon qui est ensuite séquencé; il est donc aujourd'hui possible d'effectuer en 3 jours ce qui demandait des mois il y a 10 ans.

Il parle des progrès extrêmement rapides des techniques de séquençage permettant aujourd'hui de séquencer très rapidement et pour un prix abordable des fragments très longs; le jour où le séquençage d'un génome entier sera une option expérimentale pour n'importe quel laboratoire est proche.

La possibilité de chercher rapidement et simplement dans les bases de données génomiques la présence de gènes similaires (orthologues -différentes espèces- ou paralogues -même espèce-) chez de nombreuses espèces a permis des comparaisons inter - espèces et des perspectives évolutives.

I. R. remarque que la séquence des récepteurs à phéromones est très variable entre espèces mais aussi à l'intérieur de la même espèce, et que cette diversité est favorisée par la sélection. Il propose que la variation des récepteurs V1R pourrait mener à une séparation chimique, et donc de représenter un outil de spéciation sympatrique. Les répertoires de ces gènes récepteurs sont très étendu chez les rongeurs comme la souris ou 150 gènes de type V1R ont étés identifiés (la majorité par IR), ou chez l'ornithorynque, alors que le répertoire du chien chez qui on en attendait un nombre de gènes important est beaucoup plus réduit. Dans le génome de notre espèce, il existe 4 ou 5 membres de cette famille. I.R. a d'ailleurs montré qu'un de ces récepteurs est exprimé dans l'épithélium olfactif. Comment savoir si ces récepteurs sont fonctionnels? Une simple analyse bioinformatique, examinant les séquences des gènes V1R humains et d'autres mammifères permet d'observer que certaines parties importantes des séquences sont toujours conservées: par exemple celles correspondant aux acides aminés créant des ponts disulfures dont la mutation produirait de grands changements dans la conformation de la protéine. La conservation de ces résidus indique une pression sélective sur ces acides aminés, pression négative qui reflète naturellement une fonction de ces protéines.

L'énorme taille du répertoire V1R chez la souris est difficilement explicable, sachant que seules 7 ou 8 phéromones ont été identifiées chez cette espèce à ce jour. Ceci - probablement - indique notre connaissance très partielle des molécules de nature phéromonale chez la souris, ou alternativement une fonction des récepteurs V1R qui n'est pas limitée à celle de récepteurs à phéromones. Le VNO semble permettre des apprentissages, en particulier des associations entre stimuli phéromonaux et odeurs qui sont en parallèle perçues par le MAO.

Chez la souris par exemple, le 2-Heptanone représente une phéromone. Celle-ci est perçue par le VNO mais a également une odeur très forte, et est donc en parallèle perçue par le système olfactif principal. IR, en collaboration avec un groupe Lausannois, a d'ailleurs identifié le récepteur V1R qui reconnaît cette phéromone; il s'agit aujourd'hui du seul couple phéromone-récepteur connu chez les mammifères. Un problème majeur de l'identification des ligands pour les récepteurs V1R est due à la difficulté de les exprimer in vitro; il faut donc les exprimer in vivo, en générant, pour chaque récepteur, des souris transgéniques.

La structure du 2-heptanone. Cliquer pour la voir en 3-d

I.R. mentionne que le role joué par le système VNO et le système olfactif majeur (MAO) est différent d'une espèce à l'autre et dépend des phases du développement Ainsi la suppression du VNO chez un individu nouveau-né a des effets totalement différents de sa suppression chez l'adulte. Pour lui le VNO est probablement un organe d 'apprentissage, et une fois les associations établies entre par exemple la 2-heptanone et des réponses comportementales, l'absence de récepteurs VNO n'a plus tellement d'effet.

Dans ces Bio-review, nous avions récemment vu les effets de l'absence d'un seul gène - un canal ionique (TRPC2) qui est commun à tous les récepteurs phéromonaux - sur l'orientation du comportement sexuel de la souris (Cf Bio-Review lien ici) Pour I. R. cela correspond à une sorte d'excision génétique complète du VNO. On a vu que cela supprime toute discrimination des genres lors de l'activité sexuelle, les mâles montant les mâles comme les femelles (il a été récemment montré que les femelles montent les femelles également).

On interprète cela comme l'inactivation par le VNO d'un circuit d'inhibition du comportement mâle chez les souris mutantes : les phéromones semblent donc pouvoir aussi inhiber et non seulement activer des comportements. Un bon review récent (en anglais) est ici Brennan, P. A., & Zufall, F. Pheromonal communication in vertebrates (2006)

Ne confondons pas phéromones, MHC et conditionnement olfactif.

Pour I. R. on a bien identifié quelques effets impliquant des phéromones chez l'homme, notamment la synchronisation des cycles menstruels féminins médiée par la sueur axillaire (des extraits inodores pris sous les aisselles d'autres femmes) (McClintock, 1971) (intranet)

Mais il se méfie passablement d'autres effets comme ceux présentés dans Le Parfum de Süsskind : il y a bien sûr des effets d'odeurs sur la physiologie humaine, mais ceux-ci sont généralement acquis. Par exemple, notre hypothalamus réagit à des dérivés stéroides produits notamment par la peau et les hommes / femmes y réagissent différemment. Mais cela ne prouve pas du tout que ce soit inné. Nous pourrions bien avoir acquis ces réactions : il donne un exemple visuel : les hommes ont des réactions à la lingerie féminine, qui sont mesurables au niveau cérébral et différentes chez les hommes et les femmes; ces réactions sont naturellement acquises et pas innées !

Il nuance donc le lien avec les phéromones d'un certain nombre de travaux, par exemple sur les préférences des femmes en fonction de leur cycle (intranet.pdf)

Dans le style, j'ai vu des références même à d'autres substances comme l'ocytocine qui induirait plus de confiance : (Hopkins, 2005 | intranet) ou la transpiration mâle qui relaxerait les femmes (Pilcher 2003 : Male sweat relaxes women |intranet). Ces expériences sont sans doute sérieuses, mais il ne faudrait peut-être pas les associer aux phéromones !

L'odorat détecterait la diversité génétique ?

Ensuite il faut pour lui également distinguer d'autres effets comportementaux induits par les MHC (Major Histocompatiblity Complex : CMH en français et HLA si on parle de l'humain seulement), dont les effets sont similaires : Les mammifères en général préfèrent -notamment comme partenaire sexuel - des individus qui ont un MHC assez différent, mais une trop grande différence induit au contraire une répulsion. Chez l'humain on observe aussi cette prédilection.

Ainsi de la préférence des femmes pour l'odeur de T-shirt portés par des hommes génétiquement plus proches de leur père a été beaucoup discutée (Jacob, McClintock, et al. 2002) (Jacob, McClintock, et al. 2002) (Nature news : intranet.pdf). (entrefilet dans La Recherche). Et une autre NatureNews sur le degré de différence génétique ( intranet.pdf)

je me permets de vous proposer quelques liens sur ce sujet : un article (Milinski,M. &al. 2001) qui avait fait pas mal de bruit aussi est celui sur l'influence du MHC sur les préférences de parfum (cf la news de John Whitfield (2001) (intranet.pdf)

I. Rodriguez met toutefois en garde : une corrélation n'est pas une causalité): Il n'est pas convaincu que ce soient vraiment les MHC qui sont détectés :

  • a) il faudrait qu'ils soient clivés -tout petits pour devenir volatiles - afin que nous puissions les détecter dans la muqueuse nasale.
  • b) Les molécules détectées pourrait être les peptides associés à ces MHC - qui sont des présentateurs moléculaires - et non les MHC eux-mêmes : là aussi ils seraient clivés en tout petits fragments (Boehm & Zufall 2006)
  • c) Il mentionne une autre hypothèse : le MHC - qui est évidemment au centre du système immunitaire - pourrait sélectionner un assortiment différent sur la peau selon les individus de levures et de bactéries qui elles produiraient des molécules volatiles spécifiques à chaque souche.
  • d) Une autre hypothèse serait que ces MHC fontionneraient comme des récepteurs: puisque ils sont capables de fixer des peptides, ils pourraient détecter une similitude entre les MHC de l'émetteur et du receveur. La taille des peptides présentés avec les MHC reste cependant peu compatible avec la volatilité nécessaire. Il est intéressant de noter qu'il existe des MHC particuliers qui sont exprimés par les neurones sensoriels du VNO.
  • e) Une dernière hypothèse se base sur le fait que les gènes des MHC sont physiquement très proches sur les chromosomes de certains récepteurs à odorants : ils sont donc liés génétiquement, et donc associés. Lorsqu'un individu a un MHC particulier, il possède donc également un jeu de récepteurs à odorants particuliers.
Ses recherches actuelles ?

Actuellement, I.R. essaie de comprendre comment, au niveau moléculaire, les divers systèmes de perception des phéromones sont mis en place. Il vient d'ailleurs de publier la première étude existante concernant la régulation des gènes V1R:
"The largest mammalian gene family codes for odorant receptors and is exclusively devoted to the perception of the outside world. Its expression is very peculiar, since olfactory sensory neurons are only allowed to express a single of its numerous members, from a single parental allele. How this is achieved is unknown, but recent work points to multiple regulatory mechanisms, possibly shared by pheromone receptor genes, acting at (a) a general level, via the expression of the chemoreceptor itself and (b) a more restricted level, defined by activator elements." (Rodriguez, Ivan 2007)
Il vient également de publier une review (Rodriguez, I. 2007) sur les mécanismes de régulation de l'expression des très nombreux gènes du système olfactif en général.
L'approche moléculaire de ce système est très récente, et de nombreuses questions majeures sont encore aujourd'hui sans réponses; il y a donc encore de belles découvertes à faire pour nos élèves dans ce domaine fascinant
Liens
Liens Sur les activités de I. Rodriguez
* Ne pas confondre avec les amygdales, au fond de la gorge, des structures immunes secondaires qui n'ont rien à voir avec le cerveau.
L'amygdale (qui est reliée à l'hippocampe et à l'hypothalamus) et qui fait aussi partie du système limbique est une structure bilatérale, comme le VNO ou l'hippocampe, et l'usage est généralement de faire référence à ces 3 structures au singulier.
Le nom amygdala n'est pas pluriel mais il arrive effectivement que l'on utilise le terme "amygdalae" (ici pluriel), souvent pour décrire les divers noyaux constituant l'amygdale.

dimanche 6 janvier 2008

L'enzyme contre la GdB et l'évolution des levures !



A tous les biologistes intéressés à recevoir des bio-reviews
L'alcool ... hips ?
Avec les fêtes plusieurs d'entre nous auront testé les effets de l'alcool sur notre cerveau. Et ceux qui n'ont pas su "consommer avec modération " auront exploré les effets de la GdB
Une news @ Nature (Gramser, Siëlle (2005). Alcohol and science: The party gene) éclaire un peu la question de l'origine de ces boissons.

N.B Prolune a fait un article très complet "In vino veritas" avec une perspective historique, les effets physiologiques et les mécanismes.


Le rôle central des levures
On sait bien que l'alcool est produit par des levures (Saccharomyces cerevisiae : uniprot taxonomy) sur des sucres dans des fruits, notamment le raisin, à l'aide d'enzymes Alcool DesHydrogénases (ADH)
On sait aussi que cette levure est à la fois capable de produire de l'ethanol à l'aide d'une enzyme ADH1 (sur le chromosome XV @ mapviewer), et qu'elle peut aussi la dégrader avec ADH2 (sur le chromosome XIII @ mapviewer), pour l'exploiter comme source d'énergie.
On sait aussi qu'elle supporte des doses d'alcool bien supérieures aux autres organismes.
Il n'était pas très clair quel pourrait être l'intérêt de transformer des sucres en alcool puis de les reconvertir pour les faire entrer dans ses voies biochimiques classique et en faire de l'ATP.

L'arbre généalogique des ADH reconstitué chez les levures
Dans une recherche récente commenté dans une news de nature (Michael Hopkin (2007) Grape genome unpicked) une équipe menée par Benner, S. (2005) a troouvé les séquences de ces ADH chez 12 espèces de levures puis les a alignées et a pu reconstituer une séquence originelle probable d'où toutes les ADH seraient issues et un arbre évolutif : un cladogramme comme celui-ci.

Source Thomson et al. Nature Genetics.

La levure en compétition
La séquence originelle probable AdhA est très proche de l'ADH1 actuelle et les données leur ont permis de déduire que la duplication de l'ADH s'est produite il y a environ 80-60 mio d'années.
Cela élimine les hypothèses - chères à Bacchus et bien des vignerons - selon lesquelles l'homme aurait sélectionné les levures dans son travail. Benner observe que cela coincide avec le développement des plantes à fleurs (et donc à fruits ... ) et pense que dans ce monde soudain très riche en sucres cela aurait donné à ces levures un avantage sélectif sur lees frugivores et les autres candidats à la dégradation des fruits (bactéries etc) en éliminant des concurrents. Même s'il n'est pas efficace de convertir les sucres en alcool puis de les reconvertir pour les exploiter, cela vaut la peine si on élimine la concurrence !

Mais l'évolution ne s'arrête pas là !
Il note aussi que c'est vers cette époque que les drosophiles sont apparues et qu'elles sont actuellement munies d'une autre ADH qui les rend capables de supporter et d'exploiter l'alcool. Luciano Matzkina étudié les espèces différentes de Drosophila et trouvé qu'elles ont des variantes différentes d' ADH qui leur permettent de se nourrir des jus de fruits avec 4% d'alcool (comparable à la bière) et pas mal de levures.
On aurait ainsi une compétition protectionniste entre les différents décomposeurs et frugivores !

Drosophila melanogaster (Source Wikipédia)
Les enzymes proches de l'ADH sont fréquentes dans le vivant et ont des rôles assez divers. Selon Ary Hoffmann (2005) elles peuvent évoluer assez vite : il a observé en Australie qu'une variante (AdhS, plus résistante au chaud) s'est répandue sur 400km en 20 ans.
Et ADH chez l'humain ?
L'enzyme ADH que nous avons est encore un peu différente et est probablement présente depuis longtemps pour d'autres fonctions, encore peu claires selon Gramser, peut être pour dégrader le formaldéhyde (toxique). Sa mise a profit pour une des boissons les plus contrastées de notre temps (citons ses riches liens culturels profonds mais aussi la mortalité et les effets sur la santé qu'elle cause) est donc secondaire.
Cette enzyme a en tous cas permis d'écrire -ou de compléter temporairement- quelques pages de l'histoire évolutive de la levure, de la mouche à vinaigre et de l'humain.


Compléments
On dispose du génome de la levure Saccharomyces cerevisiae complète @ mapviewer : 16 chromosomes , 12 Mbases

Les 16 chromosomes de la levure @ mapviewer :



On dispose depuis peu du génome du raisin Vitis vinifera ils ont séquencé un Pinot Noir. Un commentaire dans nature news (Michael Hopkin 2007) : Grape genome unpicked nous apprend qu'il a environ 30'000 gènes -plus que nous - et on y a trouvé un très grand nombre (70-80 ) de gènes pour des terpènes dont on sait le rôle pour composer les arômes subtils.

Source nature news (Getty)

Liens :

Ressources BIST :