jeudi 24 décembre 2009

Les pigeons ne sont pas si bêtes ?

Les pigeons ne sont pas balourds au décollage, ils avertissent leurs congénères !

Picture of pigeons
Fig 1 : Le bruit au décollage de ce pigeon est un signal d'alerte. [img]Source : Dabb, Geoffrey.

Torrice, Michael. (2009) rapporte dans Science Now une recherche sur bruit à l'envol des pigeons : ce bruit lourd du pigeon qui décolle bruyamment avec les ailes qui semblent se heurter n'est peut-être pas le signe de sa dégénérescence obèse au contact des humains qui le nourrissent, comme je le croyais...
Du moins chez le pigeon à crête (Ocyphaps lophotes). Hingee, M., et al. (2009) ont enregistré le son à l'envol normal de ces oiseaux et l'envol déclenché par le passage d'un prédateur. Ils ont mis en évidence qu'en cas de décollage d'urgence le bruit produit par les ailes est bien plus fort et rapide
On peut entendre les deux successivement, ici.
Lorsqu'ils ont fait entendre les enregistrements de décollage d'urgence à des autres pigeons, ils se sont envolés 11 fois sur 15, contre aucun envol avec l'enregistrement de décollage calme.
Ce mécanisme d'alerte pourrait bien exister chez de nombreux autres oiseaux, pensent-ils.

Le derrière blanc des pigeons semble les protéger lors d'attaque de faucons Source CREDIT: Rob Palmer

La tache blanche au postérieur qui sauve...

Palleroni, A. et al (2005) ici ont observé 1,485 attaques par 5 faucons pèlerins adultes sur 5,235 pigeons (Columba livia) en liberté en Californie. Parmi les pogeons attaqués les pigeons qui ont échappé à la capture étaient beaucoup plus souvent du phénotype dit sauvage : gris bleuté avec une tache dessous à l'arrière. La tache est très visibles et le plumage est cryptique : peu discernable dans le ciel.
Ils ont aussi capturé 756 pigeons et leur ont interverti les plumes de cette région entre ceux qui avaient une tache et des autres : ceux qui avaient reçu la tache blanche ont réchappé bien plus souvent à l'attaque par les faucons.

Ces données étayent fortement le rôle distracteur de cette tache bien visible : le prédateur vise cette tache et a de la peine à repérer un mouvement d'évitement déclenché avec une aile qui est moins visible.


Figure 1 :
[img] a, Séquence de l'attaque d'un faucon sur un pigeon: (en haut à gauche) descente en piqué , ressource derrière le pigeon, approche horizontale de 20−100-m; le pigeon entreprend une manœuvre d'évitement en abattant une aile, ce qui produit un tonneau rapide (flèche), et l'écarte de la trajectoire du faucon. Notez que la tache blanche ne bouge guère au début du mouvement. Encadré : distribution naturelle des six phenotypes de plumage chez ces pigeons : wild = sauvage - à tache blanche - dans la population étudiée (n=5,235).
b,
Pourcentage de pigeons "wild" (à tache blanche en bleu) and de phénotpye "blue-barred" (sans tache blanche en rouge) attaqués (gauche) et effectivement capturés (droite)par des faucons adultes et juveniles
c,
Pourcentage de phénotpyes "wild" et "blue-barred" capturés dans la population naturelle (gauche; n=203) et après transfert de plumage (droite; n=69) lors d'une expérience de terrain.
Source

Les auteurs mettent ce mécanisme d'alternance entre des éléments cryptiques et très visibles en rapport avec la coloration visible et cryptique chez certains poissons vivant en bancs et suggèrent que ce système pourrait être largement répandu et constituer un cas de convergence évolutive.

Le derrière blanc aussi chez les lapins et les chamois ?

Du coup, je me demande si cela expliquerait la tache blanche qui clignote (cachée puis révélée par la queue) lors de la fuite chez les lapins et les chamois par exemple ? (cf à droite : chamois fuyant au-dessus du lac Bleu d'Arolla Photo F.Lombard)

Sources

mercredi 16 décembre 2009

Exposition Génome – Voyage au cœur du vivant : prolongation jusqu’au 28 février 2010.

Du 13 octobre 2009 au 28 février 2010 - Ile Rousseau, Genève - Tous les jours sauf le lundi, de 10h à 19h,Renseignements: 022 379 72 27 genome@unige.ch
Fig 1 : L'exposition a connun un succès extraordinaire. [img]


"Au vu du succès populaire que connaît l'exposition Génome – Voyage au cœur du vivant (près de 66'000 visiteurs à ce jour, depuis son ouverture le 12 octobre dernier), actuellement visible sur l'Île Rousseau, à Genève, l'Université de Genève (UNIGE) a le plaisir de vous annoncer la prolongation de son ouverture jusqu'au 28 février 2010. Rappelons qu'avec cette exposition mise sur pied dans le cadre de son 450e anniversaire, l'UNIGE raconte le séquençage complet du génome humain, achevé en 2003. Cette vertigineuse entreprise de déchiffrement représente une rupture dans l'histoire de la science, dont Génome montre l'impact sur nos connaissances biologiques."

Sylvie Délèze


Fig 2: Chaque jour un gène est mis en évidence [accès web ici] [img]
0
Fig 3 : D'où vient notre génome?
A quoi sert-il?
Notre génome est séquencé et après?

Des visites spéciales seront organisées pour des classes de Collège, en présence de généticien-ne-s. Ces visites permettront aux jeunes de découvrir ou redécouvrir les bases de la génétique au travers d'éléments phares de l'exposition tels qu'une sculpture interactive d'ADN de 6 mètres de haut, un journal lumineux lisant l'intégralité du génome humain, une projection à 360° illustrant l'intérieur du noyau et des postes thématiques illustrant les fondements de la génétique. Puis les élèves passeront à une phase expérimentale en réalisant une enquête intitulée "Sur les traces du loup".

Pré-requis: connaissance de l'organisation générale du génome (ADN, chromosomes, gènes) et de la composition de l'ADN (ATGC)

Info pratiques: les lundis et mardis, du 26 octobre au 15 décembre, durée 90 min entre 8h30 et 12h00. Si vous souhaitez vous inscrire ! très peu de places restent.
Merci de nous et de nous laisser un numéro de téléphone.


450e ANNIVERSAIRE DE L'UNIVERSITE DE GENEVE
Ile Rousseau / Du 13 octobre 2009 au 28 février 2010
http://unige.ch/genome


jeudi 10 décembre 2009

EST-IL VRAI QUE … L’HOMME DESCEND DU SINGE ?

Café scientifique, le LUNDI 14 DECEMBRE 2009 à 18h30
Musée d'histoire des sciences
(dans le Parc de la Perle du lac)
Trams 13 et 15, arrêt Butini / Bus 1, arrêt Sécheron, Parking adjacent.
ENTREE LIBRE

EST-IL VRAI QUE … L'HOMME DESCEND DU SINGE ?

En cette fin d'année anniversaire de la naissance de Darwin, que reste-il de ce célèbre énoncé attribué à tort au père de la théorie de l'évolution : « L'homme descend du singe ! » ?

On nous dit aujourd'hui que ses singes sont nos frères, nos cousins, nos parents. Les métaphores familiales sont inépuisables pour qualifier ce lien dont on a semble-t-il toujours autant de mal à trouver l'origine. Les prénoms exotiques : Abel, Toumaï, Orrorin, Ardi, ne manquent pourtant pas, mais aucun ne semble emporter le titre d'ancêtre commun.

Les avancées de l anthropologie, de l'archéologie, de la génétique ou de l'éthologie, éclairent-elle d'un jour nouveau notre légitime envie de nous inscrire dans une histoire commune ?

Venez en discuter avec des spécialistes des domaines concernés

Avec la participation de :

- Redouan BSHARY, Professeur, Responsable du département d?éco-éthologie, Université de Neuchâtel.

- Béatrice PELLEGRINI, Chargée de recherche au Muséum d?histoire naturelle de Genève. Chargée de cours, Université de Genève.

- Estella POLONI, Chargée de cours, Département d'anthropologie et d'écologie, Université de Genève.

Animation :

- Gilles HERNOT, collaborateur scientifique, Musée d?histoire des sciences de Genève.

 

dimanche 6 décembre 2009

Ardipithecus ramidus : non...l'homme ne descend pas du "singe" !

Une vaste série de fossiles éclairent notre passé vers 4-5 mio.

L'analyse des fossiles – dont un très complet – d'une nouvelle espèce d'hominidé Ardipithecus ramidus plus ancienne (4.4 mio) qu'Australopithecus, mais clairement séparée du lignage du chimpanzé révèle des caractéristiques très particulières de la main, du pied, du crane qui éclairent cette phase de notre passé. Depuis la découverte d'Australopithèque, et notamment de Lucy (3.2 mio) on n'avait pas trouvé une série aussi complète de fossiles, et ils bousculent pas mal ce qui s'enseigne...

Picture of Ardi
Fig 1 : Une reconstitution d'artiste de ce que pouvait être Ardipithecus ramidus. Diaporama complet. [img]Credit: © 2009, J. H. Matternes

Bien que de la taille d'un chimpanzé (1m20), il ne se balançait guère de branche en branche et ne marchait pas sur ses doigts repliés (knuckling): il s'avançait droit avec un bassin large avec un pied ferme muni cependant d'un orteil opposable qui lui permettait aussi de grimper.

Le "singe" ne peut vraiment plus être notre ancêtre !


Fig 2 : Un exemple de graphique qui renforce la conception que plus un fossile est ancien plus il ressemblerait au chimpanzé. (D'après une source retenue par égard pour eux. Les flèches, le crane en bas à droite et le cartouche d'en bas sont modifiés depuis l'image d'origine).

En somme il remet en question bien des images qui présentent une série de crânes ou d'autres fossiles avec le chimpanzé à gauche et l'homme à droite en passant par Australopithèque, H. habilis, H. erectus, Neanderthal, et Cro-Magnon par exemple. Celui de la Fig. 2 met en relation la capacité crânienne et l'âge : il affiche même des millions d'années en bas, avec le chimpanzé associé implicitement à -10 millions d'années comme s'il était notre ancêtre de cette époque. Ce type de graphique sous-entend que le chimpanzé serait plus ancien que notre espèce, et qu'il serait en somme resté dans une forme primitive, alors que nos ancêtres ont évolué. Une conception qui est très fréquente chez la plupart de nos concitoyens. Donc plus un fossile est ancien plus il ressemblerait au chimpanzé. Les Australopithèques ne mettaient pas tellement en défaut cette conception. L'auteur de cette figure a sans doute voulu simplifier un sujet complexe... mais renforce une conception finaliste qui situe l'homme comme aboutissement de l'évolution et les autres espèces à des étapes intermédiaire, incomplètes, inabouties...

Une conception fréquente qui fait obstacle à la compréhension de l'évolution ?

Les conceptions des élèves sont souvent un obstacle à leur compréhension de la science, et particulièremetn de l'évolution: elles sont tenaces, parce qu'elles ont pouvoir explicatif suffisant dans la vie quotidienne. Croire que l'homme descend "du singe" est pleinement satisfaisant pour comprendre les journaux (Exemple : Tribune de Genève, Article sur Darwin 6 Février 09 cf à droite intranet.jpg) Ces conceptions obstacle ont été étudiées par Bachelard, G. (1947) et ont été (en partie seulement) répertoriées : on en trouve de nombreuses dans la base de données de Camacho (2004) Previous Ideas Database . On peut y découvrir par exemple la référence à Dagher, Z. R., & BouJaoude, S. (1997) qui montre que parmi ses étudiants de fin du secondaire, l'idée que l'homme descende "du singe" est plutôt fréquente ( la 8ème par ordre de fréquence décroissante). Les auteurs y discutent comment le dépassement de ces conceptions ne peut pas se faire en ignorant tout ce qui est en dehors de l'approche scientifique, sans une confrontation avec les autres idées sur l'évolution. Mais revenons a cet ancêtre étrange.

La publication des fruits nombreuses années de recherches

Le premier Ar. ramidaus avait été trouvée en 1994 à Aramis en Ethiopie. Avec 35 autres individus de la même espèce et de nombreux autres fossiles permettant de reconstituer le paysage, le climat et l'habitat, ce riche ensemble de fossiles donne une image très précise de la vie de ces anciens hominidés, plus anciens que Lucy d'un bon million d'années. Ayant préparé une belle synthèse, les auteurs ont voulu faire un point sur l'état des leurs découvertes et leurs analyses font l'objet d'une série de 11 publications dans Science : Video: The Analysis of Ardipithecus ramidus--One of the Earliest Known Hominids
Fig 3 : la vidéo montre bien comment Ardipithecus est plus ancien que le chimpanzé et plus proche de nous. CLCA = dernier ancêtre commun avec le Chimpanzé

On y trouve entre autres une vidéo (en anglais) par les chercheurs Tim White et Anrew Hill The Analysis of Ardipithecus ramidus--One of the Earliest Known Hominids Parmi d'autres restes ils ont retrouvé un fossile exceptionnellement complet avec le bassin, les mains et les doigts, ce qui est très rare. Ardi' comme ils l'appellent familièrement, est une femelle et elle n'est clairement pas sur le lignage qui mène au chimpanzé : elle n'a notamment pas la canine impressionnante et d'autres caractéristiques. Tout cela remet bien en question l'idée que nos ancêtres aient passé par un stade troglodytien (Science, 21 November 1969, p. 953) – semblable au chimpanzé. Il est regrettable que les fossiles de chimpanzé soient rares (probablement parce que peu recherchés mais surtout à cause du mode de vie forestiers, un milieu peu favorable à la fossilisation).
Fig.4 Le squelette d'Ardipithecus ramidus reconstitué [img] Cliquer pour le diaporama Source : Science magazine

La main et le pied d'Ardi' sont très différents des autres primates : le pied adapté pour marcher, son bassin large suggèrent une démarche bipède assez redressée sans appui sur le dos des doigts comme le chimpanze. Mais avec un gros orteil opposable il pouvait grimper dans les arbres facilement.

Ancient tale. Experts discuss the find and its importance (10 min).
Fig.5 La main d'Ardipithecus est fine et préhensile. Peu adaptée a la marche en appui sur la main (knuclling) [img] Cliquer pour le
diaporama Source : Science magazine


Fig.6 Le crâne d'Ardipithecus.De petite capacité [img] Cliquer pour le
diaporama Source : Science magazine


Fig.7 Le bassin d'Ardipithecus (image de synthèse) large et court, il es nettement adapté a la marche dressée. [img] Cliquer pour le diaporama Source : Science magazine



Fig.8 La dentition d'Ardipithecus au milieu entre celle de l'humain et du chimpanzé actuels. [img] Cliquer pour le
diaporama Source : Science magazine

L'analyse des pollens et d'autres traces révèle qu'Ardipithecus vivait dans une savane arborée comme celle de la forêt de Kibwezi au Kenya actuel.

Past and present. Ardipithecus's woodland was more like Kenya's Kibwezi Forest (left) than Aramis today.,,CREDITS (LEFT TO RIGHT): TIM WHITE; ANN GIBBONS
Fig.9 Ardipithecus vivait dans une savane arborée comme celle de la forêt de Kibwezi au Kenya (gauche), mais la région est actuellement très sèche.CREDITS (LEFT TO RIGHT): TIM WHITE; ANN GIBBONS

Alors... l'arbre de nos origines ?

Il est tentant, mais plus risqué de présenter un arbre phylogénétique : les branches en affirment très clairement que telle espèce a donné naissance à telle autre : sa force de persuasion visuelle est très grande... Mais c'est aussi trompeur, car faute d'une machine à remonter le temps, un arbre est une interprétation des données disponibles et repose forcément sur des hypothèses. Au fur et à mesure que de nouvelles données viennent s'ajouter aux anciennes il risque d'être bousculé. Ce que ne manqueront pas de railler les créationistes. Ainsi présenter comme des faits ce qui est une interprétation actuelle risque de donner l'impression que la science est bien peu fiable, chaque fois que des nouveaux fossiles permettent une ré-interprétation des liens phylogénétiques. Pourtant les fossiles ne changent pas, leur regroupement assez peu et leurs dates guère non plus; aussi présenter ces données-là communique probablement mieux la progression des connaissances. Une synthèse chronologique est présentée par Science ici Filling a gap. Ardipithecus provides a link between earlier and later hominins, as seen in this timeline showing important hominin fossils and taxa.,,CREDITS: (TIMELINE LEFT TO RIGHT) L. PÉRON/WIKIPEDIA, B. G. RICHMOND ET AL., SCIENCE 319, 1662 (2008); © T. WHITE 2008; WIKIPEDIA; TIM WHITE; TIM WHITE

Dans une formation continue récente (15 I 09) Prof Alicia Sanchez-Mazas de l'universtié de Genève comparait les données chronologiques d'autrefois (fig.9) et une synthèse récente : on voit que certains groupes ont été subdivisés ou fusionnés autrement, mais surtout qu'on dispose de fossiles bien plus anciens : l'accroissement de données et la stabilité des groupes bien étudiés est manifeste.

Fig.10 une chronologie datant de plusieurs années [img] et une chronologie actuelle [img] La comparaison montre bien l'accroissement des données et la stabilité de certains groupes bien établis. Source : Galliot B, Formation Continue , 15. I 09 Genève

La science : donner l'interprétation ou interpréter les données ?

De manière générale, montrer des illustrations proches des données et faire leur interprétation soi-même est probablement plus faire de la science que d'en montrer les conclusions toutes cuites... Montrer comment les connaissances évoluent aide a comprendre que si la science tâtonne et hésite, elle avance quand même à la longue. Tout commentaire est bienvenu.

Sources

Une version complète de la news de Science et les articles d'origine sont disponibles disponibles gratuitement. Pour participer à une discussion dans Facebook avec Ann Gibbons, allez voir la page Facebook de ScienceNOW.

samedi 28 novembre 2009

H1N1 pourquoi une telle inquiétude du vaccin ?

Un précédent Bio-Tremplins (8nov. 09) déjà plutôt long, n'avait pas abordé la question des risques du vaccin, ni les enjeux économico-politiques... ont regretté certains. Y a-t-il des accords ou des convergences d'intérêt de l'OMS avec les Pharma' ? S'agit-il du grand retour de la paranoïa et la peur du vaccin révèle-t-elle une société angoissée ? Je ne tenterai pas de déterminer si l'industrie pharmaceutique a manipulé les grandes organisations comme l'OMS ni si les autorités sanitaires ont effectivement fait de leur mieux dans la diffusion du vaccin ; je ne suis guère compétent sur ces questions et ne me lancerai donc pas dans des spéculations. Je vais tenter de présenter quelques réflexions qui aideront à mettre en perspective comment le danger se compose des probabilités et des conséquences, discuterai comment ils sont perçus, puis présenterai une illustration très parlante des probabilités liées au vaccin et rapporterai quelques données nouvelles sur la transmission du virus et les effets possibles de la vaccination.

Pourquoi tant de gens ont-ils peur du vaccin ?

 Nous avons vu dans la précédente bio-tremplins avec la spécialiste Claire-Anne Siegrist qu'une méconnaissance des dimensions épidémiologique et évolutive pouvait expliquer que des gens en bonne santé ne voient pas qu'en se vaccinant ils évitent des morts chez les personnes les plus vulnérables. Et qu'ils réduisent en se vaccinant le risque d'une recombinaison H5N1 – tueuse mais peu contagieuse – avec H1N1 – contagieuse mais peu tueuse – qui pourrait causer une épidémie catastrophique. Bio-Tremplins (8nov. 09) Pourtant de nombreuses personnes très raisonnables semblent craindre la vaccination. Constater que notre société est très individualiste n'épuise sans doute pas le débat. Mentionner que les médias ont intérêt à verser dans le sensationnalisme et l'émotionnel ne suffit pas non plus. Oui la caméra qui insiste douloureusement sur les enfants autistes dans "Silence on vaccine" et cela convainc sans doute plus que l'absence de preuves qu'ils apportent du lien entre ces maladies et la vaccination. C'est regrettable mais ce n'est pas une surprise pour ceux qui ont un peu de sens critique...

Les risques nouveaux sont plus inquiétants

Il y a sans doute des raisons psychologiques : il semble qu'un risque nouveau (les ondes des téléphones, l'antimatière produite au CERN, les vaccins,...) soit généralement considéré comme plus grave qu'un risque bien connu (le tabac, la grippe,...) qui est perçu comme moins grave. De plus un risque clairement mesuré pourrait être moins angoissant qu'un risque mal identifié, indéfini, difficile à cerner, comme celui associé au vaccin. (Slovic, P.,et al.,1980 )

L'attitude face aux risques : plus les accidents sont rares moins ils sont acceptés

Pour Amalberti, R. (2007). La Recherche, Dossier Sciences à risque, plus les accidents sont rares moins ils sont acceptés. Son analyse révèle trois phases pour un système sociotechnique et je pense que cela s'applique a celui de notre santé : la phase héroïque, celle de l'espoir et celle de la justification : nous serions entrés dans cette 3ème phase phase centrée sur la sécurité où les accidents sont devenus très rares, mais très mal acceptés.
Fig. 1 : les trois phases : héroïque, de l'espoir et de la justification d'un système socio-technique [imgintranet] Source :Amalberti, R. (2007)

La perception des risques : peu en phase avec la réalité

Selon Boy, Daniel. (2007) dans le même dossier de La Recherche, (extraits intranet.pdf) la perception des risques est très peu en phase avec la réalité des risques. On y apprend que les risques dépendant de sa propre action sont minimisés par rapport à ceux subis, et que la confiance qu'à le public envers les acteurs est liée à la perception de leur compétence et à leur indépendance : s'ils agissent pour leur propre intérêt.

Fig. 3 : La perception des risques est très peu en phase avec la réalité des risques. [img] source : Boy, Daniel. (2007)

Sans être naif et imaginer qu'il n'y ait aucun lien entre ces acteurs, il est donc important de distinguer les scientifiques qui font de la recherche et qui vivent de leur publications, des entreprises pharmaceutiques qui ont des intérêts économiques clairement assumés. Il me semble que souvent ils sont amalgamés et cela ne facilite pas le débat.

Un dilemme moral

Choisir de se vacciner ou de faire vacciner ses enfants pour eux mais aussi pour sauver des proches peut être vu comme une variante d'un dilemme moral classique. Prendre le risque de faire activement (même très peu) du mal est beaucoup plus difficile que ne rien faire et prendre le risque -même beaucoup plus grand - de causer du mal
A) Vous pouvez sauver la vie de 4 personnes en actionnant l'aiguillage qui déviera un train de sa course vers une autre voie où le train tuera une personne. Le feriez-vous? B) Vous pouvez sauver la vie de 4 personnes en poussant une autre personne – très lourde - sur les voies ce qui arrêtera le train, mais tuera cette personne. Le feriez-vous ?
La plupart des gens diront oui a A) et non à B). Rationnellement, ces 2 situation sont identiques, mais avec B) il s'agit d'une action bien plus directe (pousser une personne) qui implique plus le sujet. Ce dilemme est illustré dans Science et vie junior d'octobre 09: Buon, Marine (2009) img intranet et est exploré par IRMf par Greene, J. D., (2001)

Fig 4 : le dilemme moral de l'aiguilleur source : Buon, Marine (2009) [img]


On peut se demander si la protection très claire de son enfant que représente le fait de se vacciner nous touche moins que le risque que peut-être la vaccin va causer du tort à son enfant. La douleur que nous percevons en nous serait plus indirecte... (Cf aussi Biotremplins La douleur de l'autre est en nous 27 II 08) Et le flou sur les risques du vaccin augmente encore le deuxième terme de la décision ... et si c'était grave quand même ?

Des liens pour se faire une idée sur les probabilités et conséquences de ces risques...

L'analyse des ces résultats et de nombreux sites internet montre qu'il reste un doute chez certains. Forcément "Ce qui n'est pas entouré d'incertitudes ne peut pas être la vérité" Richard Feynmann.(2006 ). On sait que le sel de cuisine ne passerait pas les tests de sécurité actuelle car un surdosage peut tuer et que son excès cause des milliers de morts en favorisant l'hypertension. Si on réfléchit, il est impossible de prouver l'innocuité de quoi que ce soit. Il restera toujours la probabitlité que ce qu'on n'a pas encore testé soit dangereux. Il faudrait une infinité de tests. Reste donc un minuscule doute. Ce flou augmente l'effet inquiétant. Une approche rationnelle a donc peu de chances d'améliorer les choses puisqu'elle va forcément discuter des effets potentiels qui même ou surtout infimes sont angoissants on l'a vu plus haut.

Le danger est le produit du danger par les conséquences

Is the H1N1 Swine Flu Vaccine Safe?,November 25, 2009,,Some frequent questions about the H1N1 Swine Flu vaccine answered as clearly and as visually as I could manage. A few people asked for this so I thought I would oblige.,,It was hell on earth to research. There’s a jungle of science around H1N1. Very hard to hack through. You can check all my sources here.

Dans la norme française NF EN 1441, le danger qu'ils appellent risque est défini ainsi : « Combinaison de la conséquence (niveau de sévérité ou degré de gravité) d'un évènement redouté (provoquant un danger) et de sa probabilité d'occurrence.» Ainsi :

Danger = conséquences redoutées x probabilité qu'elles se produisent
Il est très intéressant de noter que dans les discussions citées plus haut les uns parlent du risque en insistant sur la probabilité (très faible) et les autres sur les conséquences (très graves). Ainsi les uns comme les autres ne traitent pas vraiment du danger de manière complète...

Visualiser les probabilités pour mieux décider ?

Un spécialiste de la visualisation a choisi les probabilités d'effets secondaire du vaccin comme thème de son Blog : information is beautiful
Fig. 5 :[img] Visualisation des risques d'attraper la grippe, idem si on a des enfants, d'être hospitalisé et d'en mourir (ligne du haut), d'attrapper la grippe H1N1 d'être hospitalisé et d'en mourir (ligne du milieu), d'avoir des effets secondaire avec le vaccin : point en bas a droite (1 sur un million). [img] source : Blog Information is beautiful
Il n'est pas certain qu'une visualisation comme celle-là suffise a rassurer les angoisses, puisque on voudrait un risque zéro et que le point en bas à droite de l'image existe. L'incertitude sur la valeur de ce point est une réalité scientifique : aucun scientifique sérieux ne donnerait ce chiffre sans une fourchette d'erreur... sans doute considérable. Aussi la visualisation choisie, plus claire et parlante est aussi moins scientifique. La science est par définition faite d'hypothèses courantes, que de nouvelles donnés vont affiner progressivement. Mais le public veut des vérités simples...
Fig. 6 à Droite : Un graphiste a pris la peine de traduire en images les principales probabilités sur la grippe et la vaccination : cliquer pour agrandir [img]Source : InformationIsbeautifulnet

Les valeurs d'infectiosité de H1N1 un peu précisées ...

Un article de Science Yang, Y., et al. (2009) extraits intranet.pdf estime sur la base de nouvelles données (été 09) le R0 de H1N1(soit le nombre de personnes qu'infecte un malade en moyenne cf Bio-Tremplins du 8nov. 09 ) dans la fourchette de 1.3 -1.7 et calcule combien la vaccination pourrait être efficace : comparée avec la ligne noire sans vaccination, avec un taux de vaccination dès 30 - 50% avec ces valeurs de R0, courbe verte et bleue on voit que l'épidémie ne décolle pas vraiment. Fig. 4 Simulated effect of prevaccination with a homologously and a heterologously matched pandemic influenza vaccine at different values of R0 and coverage for the United States. (A) Overall illness attack rates for homologous vaccine. Lines indicate the average illness attack rate over five simulations of Los Angeles County for each value of R0 with the vaccine efficacies summarized in table S9. The 95% error bars indicate the empirical confidence intervals for 100 simulations where the vaccine efficacy parameters are chosen randomly within 15% of their estimated values. (B) Epidemic curves at R0 = 1.6 with homologous vaccine. (C) Overall illness attack rates with a heterologous vaccine and 95% error bars indicating the empirical confidence intervals when varying the vaccine efficacy parameters. (D) Epidemic curves at R0 = 1.6 with heterologous vaccine.,,
Fig. 4 A) Comparée avec la ligne noire sans vaccination, un taux de vaccination dès 30 - 50% courbe verte et bleue empêche que l'épidémie ne décolle vraiment.
Simulated effect of prevaccination with a homologously and a heterologously matched pandemic influenza vaccine at different values of R0 and coverage for the United States. (A) Overall illness attack rates for homologous vaccine. Lines indicate the average illness attack rate over five simulations of Los Angeles County for each value of R0 with the vaccine efficacies summarized in table S9. The 95% error bars indicate the empirical confidence intervals for 100 simulations where the vaccine efficacy parameters are chosen randomly within 15% of their esti
m>ated values. [img]Source : Science Yang, Y., et al. (2009) extraits intranet.pdf
Cet article est aussi une mine informations qui permettent de discuter sérieusement, et en connaissance des marges d'erreurs. Par exemple "Our preliminary estimate of R0 from 1.3 to 1.7 is consistent with pandemic spread causing illness in 25% to 39% of the world’s population over a 1-year period" Ils prédisent en termes prudents que la maladie pourrait toucher 25 à 39% de la population mondiale d'ici un an.
Espérons qu'ils se trompent, j'ai aussi des proches dans les groupes à risque... Et la disponibilité du vaccin pour la majorité est bien tard à se concrétiser...

Sources

dimanche 22 novembre 2009

Café scientifique,Est-il vrai ... Que les spermatozoïdes vont disparaître ?


Café scientifique, le LUNDI 30 NOVEMBRE 2009 à 18h30
Musée d'histoire des sciences
(dans le Parc de la Perle du lac)
Trams 13 et 15, arrêt Butini / Bus 1, arrêt Sécheron, Parking adjacent.
ENTREE LIBRE

EST-IL VRAI ... QUE LES SPERMATOZOÏDES VONT DISPARAÎTRE ?


Le doute n'est maintenant plus permis: le nombre de spermatozoïdes humains diminue de façon constante depuis quelques décennies. Cette baisse influence-t-elle notablement la fertilité humaine? La question n'est pas encore tranchée, mais inquiète de nombreux spécialistes qui s'interrogent également sur les causes.
Le mode de vie, l’environnement, les changements engendrés par une meilleure espérance de vie, tous ces motifs ont été tour à tour évoqués. Mais d'autres responsables sont de plus en plus pointés du doigt, qui agiraient non seulement chez l'humain mais également chez plusieurs espèces animales: des insecticides, fongicides et herbicides de synthèse mis sur le marché dès la fin des années 30.
Qu’en est-il vraiment ? Comment prendre des décisions lorsque les causes et les conséquences divisent autant les experts?
Avec notamment la participation de:
Mme Ariane GIACOBINO, Cheffe de clinique scientifique
Dr. Hervé LUCAS, Docteur en médecine, Biologiste et Andrologue.
Dr. Alfred SENN, Docteur en biologie, Centre de procération médicalisée (CPMA Lausanne), Responsable du programme national de recherche (PNR 50)

Animation:
Christophe MOREAU
, Epistémologue
Plus d'informations sur l'activité de Bancs publics sur notre site
Site internet http://www.bancspublics.ch

mercredi 11 novembre 2009

Encore Darwin... mais au Théatre pour changer ?

Darwin et les Cirripèdes

Le fait qu'on commémore doublement Darwin cette année ne vous a pas échappé, à moins que vous ayez passé le gros de l'année reclus sur un alpage sans électricité ni radio !
Le revoici dans une forme différente de communication qui devrait plaire à un public plus large.


Remarque sur la date de publication : Ce message a été envoyé il y a longtemps aux abonnés des Bio-Tremplins, mais retenu pour sa publication ici à cause de la montée de l'épidémie en Romandie afin de laisser au premier plan une publication sur la vaccination.

Dans le cadre du 200e anniversaire de Charles Darwin, l'Académie suisse des sciences naturelles (SCNAT) a suscité l'écriture de deux pièces de théâtre sur Darwin, qui seront jouées par des comédiens professionnels dans toute la Suisse romande et, en particulier à Genève, du 10 au 22 novembre prochain.
DARWIN EN FINIT AVEC LES CIRRIPÈDES, de Michel Beretti,,et,,LA CONFESSION DE DARWIN, de Dominique Caillat
Il s'agit de deux spectacles captivants qui révèlent au public de manière dramatique et parfois comique plusieurs aspects de la personnalité et de l'oeuvre de ce grand naturaliste.

Des discussions animées par des professeurs de l'UNIGE suivront chaque représentation.

Pour plus d'informations: http://www.darwin2009.net

Darwin en finit avec les Cirripèdes
La Confession de Darwin


En espérant vous retrouver nombreuses et nombreux à ces spectacles, avec vos familles et amis, je vous prie de croire à mes salutations les plus cordiales.

Prof. Jean-David Rochaix


La tournée en suisse romande passe par Genève, Sion, Fribourg, Neuchatel , Lausanne Programme

dimanche 8 novembre 2009

Une grippette peut-être, mais une épidémie sérieuse...

Un point de vue épidémiologique

Avec les frimas la menace de la grippe H1N1 se précise, et les médias qui parlaient de "grippette" ou ironisaient sur la faible envie de se faire vacciner, commencent à jouer la carte catastrophiste (exemple), c'est peut-être le moment de tenter de comprendre les enjeux scientifiques de l'épidémie qui semble nous atteindre. Il y a quelques temps Bio-Tremplins du 20 Juillet faisait un premier point scientifique sur la question. Et avec la professeure Claire-Anne Siegrist au CMU à Genève, qui a bien voulu répondre à une interview virtuelle nous développons ici un point de vue épidémiologique et évolutif.

Pas plus d'effets que la grippe saisonnière : pourquoi s'inquiéter ?

En effet, il semble que la grippe n'a pas des effets beaucoup plus graves que la grippe saisonnière. Alors pourquoi s'inquiéter ? Elle semble se transmettre beaucoup plus : chaque individu infecté risque d'en infecter beaucoup d'autres. Et on craint d'avoir une flambée très rapide qui pourrait toucher tant de personnes que les magasins, les transports, les services pourraient être rendus inopérants. Evidemment s'il n'y a personne pour vous vendre du pain ou du lait, ou... des médicaments, parce qu'ils sont tous malades en même temps, c'est un problème plus grave que les classiques 3 jours que vous passez au lit avec de la fièvre d'une grippe habituelle.

Une vision épidémiologique

Alors que nos sociétés occidentales privilégient une vision individuelle de la gestion du risque et de sa propre santé, l'épidémiologie prend de la hauteur et étudie la dynamique de diffusion de l'agent pathogène dans une population. Au lieu d'attendre que l'individu soit malade et de regarder comment le soigner, elle cherche à comprendre comment agir sur la diffusion pour limiter le nombre de personnes qui tomberont malades.
« Nous avons tendance à oublier à quel point nous sommes interdépendants. Nous oublions que sont les autres qui nous contaminent, et les autres que nous infectons à notre tour – sans le savoir, sans le vouloir... Et ces autres, ce n’est pas n’importe qui dont le sort nous importe peu, mais notre famille, nos amis, nos collègues, nos élèves ! C’est la mission de la santé publique que de déterminer ce qui peut être fait – et à quel moment d’une épidémie – pour protéger une collectivité et donc les individus qui la composent. » Siegrist, C.-A. (2009)

Le modèle SIR

On peut analyser numériquement une épidémie en considérant que la population est constituée d'individus Susceptibles, Infectious =infectieux, et Recovered : guéris et Résistants. Kermack, McKendrick (1927) le SIR model Fig 1 : Le modèle SIR [img] Source : Wikipedia On appelle ce modèle SIR puisqu'on y considère les individus comme faisant partie de l'un des 3 groupes et passant de Susceptibles à Infectieux pour devenir guéris et donc Résistants. Source
Fig 2 : Le modèle SIR permet d'explorer la dynamique d'une épidémie Bleu=Susceptible, Vert=Infectés, Rouge=guéris et Résistants, [img] Source : Wikipedia

L'épidémie cesse quand le nombre de de personnes susceptibles diminue.

Fig 3 : Selon les modèles de F. Carrant, fermer les écoles et les bureaux aurait un bon effet protecteur [img] Source : Tourbe, Caroline. (2009)

Des modèles bien plus sophistiqués ont été employés par Fabrice Carrat pour explorer divers scénarios (Tourbe, Caroline. (2009) Science et Vie IX09 p. 67 (extraits intranet.jpg) et mettent en évidence l'effet protecteur important de fermer les lieux où le virus se transmet beaucoup, notamment les écoles et les bureaux (Cf Fig 3).
« Le choix du moment est important. Par exemple, les écoles sont généralement fermées lorsqu’il y a une série d’élèves infectés… alors que c’est déjà trop tard pour avoir un impact sur la contamination ! L’autre facteur, c’est ce que deviennent les enfants dont les écoles sont fermées. Lorsque le Mexique a mis tout le monde à la maison pendant 5 jours, cela a suffit à interrompre la montée de l’épidémie. Mais lorsque certaines villes du Japon ont fermé les écoles et que les élèves se sont retrouvés dans des clubs de karaoké, l’effet a bien sûr été nul ! » Siegrist, C.-A. (2009)

Quelques conséquences prévisibles ...

le masque est une protection pour les autres.Ce modèle SIR, bien que simple montre cependant bien que le développement de l'épidémie dépend beaucoup de la vitesse de la transition S->I : un taux qu'on appelle β I, avec β pour le taux d'infection, qui mesure en gros la probabilité d'attraper la maladie lors d'un contact entre un individu susceptible et un sujet infectieux. Le masque de protection agit ici. Évidemment ce facteur multiplie le nombre de personnes infectées I.

En d'autres termes pour éviter la propagation il apparait très important de rechercher les moyens de diminuer β ou I. Empêcher l'infection est donc plus utile que de les guérir une fois infectés. Cette vision conduit naturellement à une vision centrée sur la prévention plus que la guérison : les mesures d'hygiène (se laver les mains, tousser dans un mouchoir propre voire le coude plutôt que les mains, etc. Par exemple sur le site Pandemie.ch : se protéger et protéger autrui, mais aussi la vaccination,

« Les mesures d’hygiène permettent de freiner la propagation du virus, en interrompant – en partie et pour un temps – la chaîne de transmission. Elles ont du sens pendant les quelques semaines de montée de l’épidémie, devenant peu utiles lorsque le virus est partout…La difficulté est que ces mesures ne sont efficaces que pendant peu de temps : on peut se désinfecter les mains et toucher quelque chose de contaminé juste après ! Les mesures d’hygiène sont donc utiles en attendant les vaccins. » Siegrist, C.-A. (2009)

Les effets épidémiologiques d'un vaccin ?

On le sait, le système immunitaire agit plus fort et surtout plus vite lors d'une 2ème infection : on n'attrape par exemple les maladies de l'enfance (oreillons, rougeole,…) qu'une fois. Le vaccin agit en stimulant le système immunitaire avec des antigènes du virus pour déclencher cette première réaction préventivement. Ce n'est donc pas le vaccin – au sens de la substance inoculée – qui agit contre le virus, comme de nombreux élèves le pensent au départ, mais le système immunitaire qui est rendu plus réactif contre cet antigène du virus. Longtemps après que la substance du vaccin soit éliminée, le processus mis en route continue de faire effet : ici le terme de vaccin se réfère à l'effet de modification durable du système immunitaire. The course of a typical antibody response
Fig 4 :Après la première infection ou le vaccin les anticorps sont déjà plus abondants et seront fabriqués avec moins de délai et en plus grande quantité [img] Source : Janeway (2001)

Or vacciner transforme un individu Susceptible directement en un individu Résistant. Ce qui diminue le nombre de personnes infectables et ralentit la progression de l'épidémie.

Par souci de concision et pour rester centré sur la compréhension scientifique nous avons finalement décidé que cette Bio-Tremplins ne traitera pas le débat sur les mouvements qui s'opposent aux vaccins pour diverses raisons.

Les vaccinés freinent l'explosion du virus.

Donc si un hypothétique M. Duschmoll tombe malade, il transmet la grippe 3-4 jours après le virus H1N1à d’autant plus de personnes que le virus est contagieux. Par exemple, M. Duschmoll contaminera 15 personnes non immunes s’il attrape la rougeole et 2-3 (R0 = disons 3) s’il attrape la grippe. Si ces personnes sont toutes vaccinées, personne d'autre ne sera contaminé et le foyer infectieux sera arrêté. Si 2 des ces 3 personnes ne sont pas vaccinées, elles peuvent tomber malade, bien sûr, mais surtout elles risquent de transmettre 3-4 jours plus tard chacune à 3 autres personnes le virus. Cela fait déjà 9 personnes contagieuses de plus... qui chacune peut contaminer 3 autres personnes ça en fait déjà ((9+3)*3)= 36 qui pourront chacune contaminer 3 autres.... etc. Ce chiffre de 3 est un peu pessimiste : Cohen, Jon. (2009), ici suggère que la grippe de 1918 avait un R0 entre 1.4 et 3. Et un "basic reproductive rate" (entre le moment de l'infection d'un individu et le moment où il commence a infecter les autres) d'environ 3 jours.

Si M Duschmoll ou d'autres s'étaient vaccinés (le vaccin coûte quelques francs) ... Il y aurait beaucoup moins de malades et peut-être quelqu'un en pharmacie pour leur vendre du Tamiflu® de l'Aspirine®, des tisanes aux herbes ou des vitamines. Et au supermarché pour lui vendre des oranges. C'est donc au début, quand il y a très peu de malades qu'il est le plus efficace d'intervenir. Mais c'est le moment où il est difficile de voir (les malades sont rares) que l'épidémie est en train de se développer. Cela explique peut-être certains scepticismes ?

Les vaccins contre la grippe sont efficaces s’ils sont fait au moins 1-2 semaines avant la contamination. Pour la grippe saisonnière, les vaccins sont donnés en octobre-novembre – sachant que l’épidémie arrive entre décembre et février. Dans le cas d’une pandémie avec un nouveau virus, il faut plusieurs mois pour la production et l’évaluation des vaccins – si bien qu’il est souvent impossible de vacciner avant l’arrivée du virus. Mais comme tout le monde n’est pas infecté en même temps (une vague épidémique dure environ 3 mois et touche 20-30% de la population), il n’est pas trop tard pour vacciner même lorsque le nombre de cas rediminue. Et comme il est déjà « programmé » que la grippe A(H1N1 reviendra en hiver 2010, ce n’est pas trop tard pour tous ceux qui sont passé entre les gouttes… » Siegrist, C.-A. (2009)

Une responsabilité sociale ?

En somme au-delà du risque individuel de tomber malade, la vaccination protège aussi les autres, et les autres vaccinés nous protègent. C'est ainsi que la rougeole est devenue extrêmement rare, jusqu'à ce qu'elle réapparaisse dans des foyers non-vaccinés ce printemps. La question de la responsabilité de vacciner avait alors été posée cf extraits de quelques journaux de février 09.

« Certains n’ont pas peur de dire que pour eux, l’idéal c’est que tous les autres soient vaccinés : cela leur permet de se protéger sans devoir faire le vaccin ! Mais lorsque trop de gens pensent comme ça, le risque d’être infecté par ses proches devient très grand ! Il ne faut pas oublier qu’une société est composée de la somme de ses individus – et que le monde est composé de la somme de ses sociétés. Le virus de rougeole « made in Switzerland » a été exporté aux 4 coins du monde, y compris dans des pays pauvres n’ayant pas les ressources médicales pour prendre en charge les cas graves… » Siegrist, C.-A. (2009)

Simuler les effets du vaccin en classe pour comprendre ?

http://tecfa.unige.ch/perso/lombardf/bist/bio-tremplins/icone-epidoscope.jpgAlessandro Conti a réalisé un logiciel Epidoscope qui permet d'explorer les effets des paramètres d'une épidémie
Une description de ce logiciel par son auteur :
Epidoscope permet de mettre sur pied de travaux pratiques mettant en jeu la stratégie expérimentale et des raisonnements hypothético-déductifs. Il offre un environnement de travail axé sur la modélisation. qu’ils abordent par l’intermédiaire de représentations graphiques. Ce logiciel permet de simuler le développement d’une épidémie dans une population. L’utilisateur peut observer l’extension de la contagion, l’existence et le déplacement d’un foyer,.... Pour chaque simulation, un graphique visualise le nombre cumulé de personnes atteintes et le nombre d’agents infectieux actifs à chaque instant, deux modes de représentation courants d’une courbe épidémique. Il peut développer une stratégie expérimentale en posant des hypothèses sur l’effet de certaines variables, en réalisant une série de simulation et en répétant au besoin la simulation (reproductibilité). L'utilisateur dispose de trois variables "population" : "densité", "couverture vaccinale" et "mobilité" et de 4 variables liés à l'agent : transmissibilité (+/- équivalent à la virulence), propagatio, probabilité d'infection défini pour deux population : a) trois niveaux de résistance "naturelle" (pour non-vacciné) et trois niveaux d'efficacité d'un vaccin (pour vaccin), période contagieuse (temps relatif d'incubation + durée de la période contagieuse) Les scénarios pédagogiques sont à construire : On peut par exemple simuler investiguer des questions du type :
  • Peut-on protéger une population avec un vaccin peu efficace ?
  • Le vaccin protège t-il d'abord un individu ou bien une population ?
  • Quel niveau de couverture vaccinale est suffisant pour un vaccin moyennement efficace contre une maladie très transmissible ?


Fig 4 :Epidoscope permet d'explorer les effets du vaccin entre autres sur le développement d'une épidémie. [img] Source : Conti, A. (2009)

Ce logiciel est accessible depuis sur tous Mac du CO Genevois disposant de la configuration pédagogique : Dans le dock -> Dossier Didacticiel-> biologie ->biologie 9-> Dossier santé->Epidoscope
On peut downloader le logiciel pour Mac OSX ici La description est ici

Si la simulation n'est jamais la réalité, elle rend possible des démarches expérimentales pratiquées par les élèves en classe dans des cas où ce serait impossible sinon. Et permet d'apprendre à mettre en perspective les simulations, d'en voir les possibilités et les limites : certainement une compétence bien utile de nos jours.

Les recombinaisons et l'évolution du virus

Le virus est constitué de huit segments d'ARN simple brin. Lorsqu'une cellule est infectée par deux virus il arrive que des segments de l'un se retrouvent encapsulés avec des segments de l'autre : on a un virus recombiné. Comme avec nos chromosomes dont les recombinaisons produisent des nouveaux phénotypes avec la meiose et la fécondation, de nouvelles souches du virus sont ainsi produites lors d'infections avec des souches différentes. On a clairement montré en analysant les séquences de ces fragments que H1N1 est les résultat de telles combinaisons Cohen, Jon. (2009). Summary
Fig 5 : la souche du virus A(H1N1) — dont le nom officiel est A/California/D4/2009 — se compose de huit segments (barres colorées) qui ont été recombinées au cours du temps avec d'autres souches de virus humains et d'autres espèces. Source Butler, Declan. (2009): How severe will the flu outbreak be? [img] Gavin Smith

Or plus on a de gens infectés, plus le risque augmente que se produise une telle recombinaison entre des souches qui auraient des capacités qui réunies augmentent la virulence ou le R0. C'est sans doute rare, mais l'évolution du virus au cours du siècle passé montre bien que quand cela s'est produit des épidémies sont apparues.
« Les nouveaux virus proviennent toujours des réservoirs animaux, d’où ils émergent après que 1, 2 ou X mutations leur permette de devenir capable d’infecter des humains, et de se transmettre d’un humain à l’autre. Pour la grippe, ces réservoirs sont les oiseaux (grippe aviaire – très grave mais peu contagieuse pour l’humain) ou les porcs (grippe porcine – très contagieuse mais peu grave pour l’humain en bonne santé). Le scénario catastrophe étant donc la recombinaison d’un virus aviaire très pathogène de type H5N1 avec un virus porcin ou humain très transmissible, comme H1N1…" Siegrist, C.-A. (2009)

Une perspective évolutive : le virus "mute "?

On dit parfois que "Le virus risque de muter pour devenir plus virulent". En fait il mute tout le temps (l'ARN simple brin est moins stable). Par exemple on observe 2% de changement du génome en 5 jours seulement chez un autre virus : celui de la polio (Alberts, B. 2002) le temps de passer de la bouche a l'intestin. "Autre exemple : les malades de la grippe traités par de l’antiviral (oseltamivir, Tamiflu®) excrètent des virus résistants après quelques jours." Siegrist, C.-A. (2009). Or comme la plupart de ces mutations sont défavorables - pour le virus - ou parfois neutres elles ne sont généralement pas détectées. Extrêmement rarement une de ces mutations est favorable – pour le virus, c'est à dire défavorable pour nous – et résulte en une souche de virus qui se multiplie plus vite, qui atteint plus de gens et dont nous prenons alors conscience. Les autres restent ignorées. La page Viralzone de UniProt montre plus de 250 souches qui ont été séquencées, juste pour la grippe A, et GenBank en recense actuellement près de 100'000 séquences du virus de la grippe. Sans parler des innombrables autres qui n'ont pas été séquencées… Nous baignons dans les mutations ! Sur la base de ces recombinaisons et mutations la sélection des virus mieux adaptés (hélas) produit l'évolution. Et notre système immunitaire réagit aussi par une forme de sélection des cellules produisant les anticorps les plus adaptés. Entre ces mutations, les recombinaisons, d'un coté et l'adaptation du système immunitaire, on a une sorte de course de vitesse évolutive. Dire que "le virus a muté" renforce l'idée fausse que les mutations seraient rares et dirigées dans un but. Une conception qui fera obstacle à une bonne compréhension de l'évolution. Si l'on veut qu'un jour les élèves comprennent l'évolution, il faut peut-être présenter sous leur vrai jour évolutif les variations et sélections qui se produisent avec les maladies...

Sources

mercredi 28 octobre 2009

Conférences remarquables

Lectures publiques d'extraits choisis de Darwin


Le Musée d'histoire des sciences s'associe à un projet du Muséum d'histoire naturelle de Genève et vous propose d'assister à des lectures publiques d'extraits choisis de l' "Origine des espèces au moyen de la sélection naturelle" de Charles Darwin, commentés par des personnalités, qui auront lieu dès ce jeudi 29 octobre dans les galeries du Muséum (1 rte de Malagnou, Genève).

Programme ci-dessous ou sur le lien http://www.ville-ge.ch/mhng/anima_2009_darwin.php

Avec mes cordiales salutations

Laurence-Isaline Stahl Gretsch

Musée d'histoire des sciences
128 rue de Lausanne, 1202 Genève
Tel : +41.22.418.50.71
Fax : +41.22.418.50.61

Programme
- Jeudi 29.10.2009, 18h30: Ruth Dreifuss (ancienne Conseillère fédérale): La beauté est-elle utile ?
- Jeudi 05.11.2009, 18h30 : Denis Duboule (Professeur de biologie à l'Université de Genève et à l'EPFL): L'impossible origine de l'oeil ?
- Jeudi 12.11.2009, 18h30 : Charles Kleiber (ancien Secrétaire d’Etat à la Science et à la Recherche): L'évolution, un progrès ?
- Jeudi 19.11.2009, 18h30: André Langaney (Professeur honoraire au Département d'anthropologie et d'écologie à l'Université de Genève): La sélection des races
- Jeudi 26.11.2009, 18h30: Randal Keynes (défenseur de la nature, arrière-arrière-petit fils de Charles Darwin): Darwin and the de Candolles (attention: lecture en anglais)

Tout public, entrée libre


Darwin et les origines de l'Homme: un siècle de perdu"


Mercredi 4 novembre à 20h par Pascal Picq, paléoanthropologue au Collège de France.

Charles Darwin publie L'Origine des espèces au moyen de la sélection naturelle en novembre 1859, mais sans évoquer le cas de l'Homme. Quelques années plus tard, c'est La généalogie de l'Homme en relation avec la sélection sexuelle en 1871. Un essai destiné à lancer un vaste programme de recherche sur nos origines et aussi contre le racisme scientifique qui se met en place à cette époque. Il fait l'hypothèse que nos origines s'enracinent en Afrique et que nos capacités comportementales et mentales dites "supérieures", comme la morale, se fondent sur les comportents sociaux des singes. Hélas, ces recherches ne commenceront qu'un siècle plus tard. Etat des avancées sur cette question et bon anniversaire Mr. Darwin.
Présentation de la conférence Darwin et les origines de l'Homme: un siècle de perdu au format pdf (150k)



Journée mondiale du diabète

A l’occasion de la Journée Mondiale du Diabète en novembre prochain, nous organisons notre journée de visite de laboratoires à la Faculté de médecine de Genève, le mardi 10 novembre de 9h30 à 18h30. Chercheurs et cliniciens seront à votre disposition comme les années précédentes au travers de postes et parcours thématiques.

C’est très volontiers que nous accueillerons des classes de votre école lors de cette journée (uniquement sur inscription et avec les enseignants). Vous trouverez en courrier attaché de plus amples renseignements sur les postes, également sur le site : www.diabete.unige.ch

Pour vous inscrire, contacter Pierre Maechler

En restant à votre disposition pour tous compléments d’information, recevez mes meilleures salutations.

Pierre Maechler
Coordinateur JPO-Diabète

samedi 17 octobre 2009

La science aborde aussi les questions ... truculentes !

La science s'intéresse aussi aux questions irrévérencieuses !
Alors même que leur attitude face à la science reste assez positive dans le temps, on voit les attitudes des élèves fléchir face à l'apprentissage des sciences à l'école entre le primaire et la fin du secondaire. Pour (Venturini, 2007) on n'a donc pas une crise, mais une attitude plus critique des jeunes. A l'école le constat est plus alarmant :
"Ainsi, l'attitude envers les sciences à l'école n'est pas très bonne [...]. L'attitude envers les sciences se détériore au fur et à mesure que l'élève avance dans son cursus scolaire, particulièrement après son entrée dans l'enseignement secondaire, en raison de l’abstraction croissante des contenus. L'enseignement des sciences est alors jugé peu attrayant, difficile, souvent théorique, trop fragmenté et décontextualisé. (Venturini, 2007) p. 133-134
S'il est impensable de renoncer à la rigueur, constitutive de la science, on peut chercher des moyens de montrer le sens, la saveur et le plaisir que peuvent procurer les outils pour comprendre le monde que la science propose. Aborder la science avec humour et légèreté... pourquoi pas : nous allons entrevoir certaines pistes peu conventionnelles. Chacun jugera de l'opportunité de ces approches. Quelques auteurs ont abordé la science avec humour, ou de manière décalée par le biais de ces questions très personnelles et souvent impertinentes que parfois les élèves nous posent !

Pourquoi les manchots n'ont pas froid aux pieds?

New Scientist (2007). Pourquoi les manchots n'ont pas froid aux pieds? : Et 111 autres questions stupides et passionnantes.
"La science sans humour ni controverse est comme un jour sans soleil." New Scientist (2007).
Un ouvrage décidément peu sérieux rassemble de très nombreuses questions et les réponses des lecteurs. Aucune validation des réponses mais pourtant bien du plaisir à les lire ! Un exemple : "Suis-je en train de respirer une des molécules d'air du dernier soupir de Léonard de Vinci*? " A recommander à ceux qui sont curieux, que les questions font sourire et ne sont pas angoissés par l'absence de réponse définitive. La science n'est-elle pas faite d'hypothèses courantes ? C'est du moins ce que pense Desmond Morris (1980) "Sa grande qualité était l'aptitude à goûter l'étrangeté qui marque l'esprit des véritables chercheurs."
Dans l'ouvrage Mais qui mange les guêpes ? qui lui fait suite on trouve aussi de belles questions comme :
  • Pourquoi les vaches ne peuvent-elles pas descendre les escaliers ?
  • Qu'est-ce qui cause le bruit des doigts, ou autres articulations, qui craquent?
  • Pourquoi la morve est verte ?
Certaines réponses figurent plus bas : -)

Les plantes qui puent, qui pètent, qui piquent ?

Dans une veine aussi curieuse et un peu plus impertinente, un ouvrage récent met en scène des plantes dont les adaptation au milieu interagissent avec nous de manière désagréable ou surprenante, suscitant des réactions assez amusantes.
Hignard, L., Pontoppidan, A., & Le Bris, Y. (2008). Les plantes qui puent, qui pètent, qui piquent. Une trentaine de plantes groupées par stratégies pour "se défendre" : mauvaise odeur, sécrétion collante ou baveuse, armes tranchantes, etc.
Par exemple l'ortie qui pique, le pissenlit ou la chelidoine qui saignent, bien illustré et accompagné d'anecdotes (le latex de la chélidoine contre les verrues : un photosensibilisateur, ou la bardane à partir de laquelle le Suisse De Mestral a inventé le Velcro (cfbardanes (Arctium


Fig 1 : un exemple de page de l'ouvrage : Les plantes qui puent, qui pètent, qui piquent.

Cet ouvrage cède délicieusement à la tendance qu'ont les humains à imaginer des intentions (cf Bio-Tremplins du 29 V 09) similaires aux leurs dans les objets, les plantes et les autres animaux : l'anthropomorphisme

"Savez-vous pourquoi il ne faut pas anthropomorphiser les animaux ? "
Réponse : ils n'aiment pas ça ! : -)
Cette question à l'humour assez british est issue d'une émission de la BBC ; The Naked Scientists

Des questions provocantes et des réponses sérieuses...

Un programme de la BBC : The Naked Scientist diffuse régulièrement par podcast une émission scientifique franchement irrévérencieuse, avec un ton très "fun" que Rabelais n'aurait peut-être pas désavoué s'il vivait actuellement. Il fallait oser, ils l'ont fait ! Squid don’t just see with their eyesLes animateurs de cette émission – des scientifiques – parmi des brèves très sérieuses de l'actualité scientifique comme l'immunité contre le cancer ou la vision sur tout le corps des pieuvres n'hésitent pas à aborder aussi avec rigueur ces questions provocantes que les ados aiment bien poser. Des questions issues de leur curiosité, du désarroi suscité envers le monde par leur corps en changement ou simplement pour tenter de désarçonner ces adultes contre lesquels ils se définissent... La langue anglaise de ce site est évidemment un problème, mais on peut s'en inspirer et traduire les plus intéressants.

Ils ont étudié dans "Question of the Week" par exemple :
  • Pourquoi un pigeon hoche la tête en avançant. (vidéo)
  • Si un cycliste plus lourd descend plus vite en roue libre ici
  • Si un jeans retient les bactéries lors de l'émission de flatulences, ici
  • Pourquoi les matières fécales sont de couleur brune malgré une alimentation aux couleurs variées... voir plus bas
  • ...

La science à la maison : Kitchen science

Des expériences à faire à la maison, très simples et amusantes
  • Comment le pop-corn explose ici
  • Comment peser l'atmosphère avec un pèse-personnes ici
  • Comment un oeuf peut tomber sans se casser et comment illustrer l'effet protecteur de l'amnios ou des méninges. ici

Les causes de la désaffectation des sciences ou de leur enseignement

En effet la recherche a montré que si l'image de la science reste positive, (par exemple seulement 8% des jeunes français de 11 à 17 pensent en 2002 que l'utilisation des recherches scientifiques apporte plus de mal que de bien, et ce chiffre est inchangé depuis 1992 (Boy, 2002) in (Venturini, 2007) p. 96 Cependant ceux qui estiment qu'elles apportent plus de bien que de mal ne sont en 2002 plus que 30% contre 40% en 1992). Pourtant 89% des jeunes sont en accord avec l'affirmation que "Les chercheurs travaillent pour le bien de l'humanité" (Postel Vinay, 2002) in (Venturini, 2007) p. 95 L'insatisfaction vis-à-vis de l'enseignement scientifique trouve certainement une partie de ses origines dans la différence entre les sciences attendues par les élèves et celles qui sont enseignées en classe. Les premières sont liées à leur perception des sciences dans la société, utiles, prestigieuses, fascinantes alors que les secondes apparaissent généralement théoriques et décontextualisées, difficiles et ennuyeuses (Osborne et al. 2003, in Venturini, 2007) p.106

... des réponses scientifiques qui pourraient intéresser les jeunes ?

Dans la mesure où le décrochement des jeunes face à la science à l'école se produit durant l'adolescence, c'est peut-être une bonne idée d'aller chercher certains jeunes avec des thèmes qui éveillent leur intérêt. Au fond la science est d'abord une démarche, qui peut tout aussi bien étudier les fluides corporels, les gaz intestinaux et d'autres aspects un peu inconvenants de la physiologie humaine.

Quelques réponses ...

Alors est-ce que je respire une des molécules d'air du dernier soupir de Léonard de Vinci ?

Selon New Scientist (2007) à chaque inspiration, nous ingérons en moyenne cinq des molécules du dernier soupir de léonard .. et tout autant de celui d'autres individus moins recommandables ! Sans doute même quelques-unes que des dinosaures ont respirées !

Pourquoi la morve est verte ?

Selon CJ. van Oss, Département de microbiologie, université de Buffalo, et J.O. Naim, du Rochester General Hospital, New York, dans "Mais qui mange les guêpes ?" Le vert du mucus est dû à la présence d'oxydases et de peroxydases, contenant du fer, utilisées par les granulocytes polynucléaires neutrophiles. Ces globules blancs de courte durée de vie ingèrent avidement toutes sortes de bactéries et les inactivent en les oxydant, ce qui implique les enzymes ci-dessus, contenant du fer. Les déchets du processus (parmi lesquels se trouvent des leucocytes morts, des bactéries digérées et des enzymes) contiennent beaucoup de fer, ce qui leur donne une couleur verdâtre.

Finalement... pourquoi est-elle brune ?

Stercobiline Donc, si les matières fécales sont uniformément brunes, selon The Naked Scientist du 25 juillet 2009 (podcast ici) (texte ici) c'est à cause de la bile, dont la décomposition par les bactéries dans l'intestin produit la stercobilin qui est brune. Selon wikipedia nous produisons 70 à 300 mg de stercobiline par 24 heures. Les antibiotiques peuvent ainsi modifier la couleur des matières fécales en réduisant la flore intestinale et la transformation de bile en stercobiline.

Et pourquoi les gens pètent-ils ? (flatulences)

Voici des extraits d'une Prolune(Protéines à la Une) par Altairac, Séverine. (2009). De l'origine des flatulences
Le rôle du lactose
"Le lait humain est très sucré et contient 7% de lactose tandis que le lait de vache en renferme à peine 5%. [... Bébé, nous le digérons grâce à l'enzyme lactase] lactose ( source wikipedia : article lactose)Pourtant, 70% de la population mondiale voit sa faculté à digérer le lactose progressivement réduire. Généralement ce changement passe inaperçu alors que pour certains, la consommation de produits laitiers prend des allures de cauchemars intestinaux. Douleurs abdominales, ballonnements, flatulences et diarrhées viennent alors hanter la digestion. C’est l’intolérance au lactose. [...] Le lactose est normalement digéré dans l’intestin grêle. Comment ? Les cellules qui tapissent la paroi intestinale portent à leur surface une enzyme, la lactase. Ainsi ancrée sur les cellules, la lactase est directement en contact avec les aliments. Et lorsqu’elle rencontre une molécule de lactose, elle le coupe en deux sucres plus petits – le glucose et le galactose. Le glucose est ‘brûlé’ pour produire de l’énergie tandis que le galactose devient un composant de certains lipides et protéines nécessaires, entre autres, au cerveau."
L'enzyme lactase n'est plus fabriquée chez l'adulte
"Or nous ne fabriquons pas la même quantité de lactase tout au long de notre vie. C’est à la naissance que nous en produisons le plus. Puis dès les premiers mois de vie, son taux commence à décliner pour se stabiliser à son plus faible niveau entre 3 et 5 ans – soit après le sevrage. Que nous continuons ou non à boire du lait, la chute de la lactase est inéluctable dès lors qu’elle est ordonnée et contrôlée au niveau génétique. Cette baisse de la lactase n’est absolument pas un trait propre aux humains ; nous la partageons avec les autres mammifères, du chat au chimpanzé en passant par la baleine et le lion. "
Le lactose n'est pas digéré mais fermenté par des bactéries ...
"Si la lactase déserte progressivement le tube digestif, que devient le lactose de notre verre de lait ? Il glisse jusque au fond de notre intestin grêle, en ressort presque intact, puis poursuit sa descente jusqu’au côlon. Là, nos hôtes les bactéries se chargent d’en venir à bout. Bon nombre d’entre elles contiennent justement de la lactase. Elles vont digérer le lactose mais pas tout à fait de la même manière que les cellules intestinales. Elles travaillent sans oxygène et transforment le lactose en gaz et petits acides gras. C’est le processus de fermentation. Finalement, ces molécules dérivées du sucre sont normalement absorbées par d’autres bactéries. Ces innombrables ouvrières exécutent leur tâche plus ou moins efficacement. Et si les gaz et les acides gras s’accumulent, les symptômes de l’intolérance au lactose peuvent se manifester. Les gaz semblent à l’origine des flatulences et des ballonnements tandis que le passage du lactose le long des intestins est lié à la libération d’eau provoquant la diarrhée. L’intensité des maux digestifs varie d’une personne à l’autre et dépend du sexe, de l’âge mais surtout de la sensibilité intestinale, de la vitesse du transit et de la quantité de lactose ingérée." Fig 2. La fréquence de la tolérance au lactose chez l'adulte : la répartition corrèle bien avec les populations d'éleveurs (source) Les liens avec l'évolution de la persistance du lactose ont été discutés dans (Bio-Tremplins 7 X 08)

La composition des flatulences a été étudiée par des médecins

Il semble que la plupart des gaz fermentés sont issus de ces sucres indigestes qui parviennent ainsi au colon et y sont fermentés par des bactéries. Il en résulte de l'hydrogène, du méthane et des sulfures. L'hydrogènes est le principal, et il est en partie absorbé par le sang puis évacué par la respiration. Je présume que cela peut expliquer certaines haleines... Les liens avec la flore intestinale seraient sans doute intéressants (Bio-Tremplins 5XI08) à explorer En moyenne les gens ont 200ml de gaz intestinal dans l'intestin grêle (plutot que le gros intestin comme on le pensait (Azpiroz, F. 2005) . Selon ce qu'on mange la production est de 200ml/24h et avec des haricots ("200 g baked beans.") entre 476 et 1491 ml (µ=705 ml). L'hydrogène représente en moyenne 361 ml/24 h et le CO2 68 ml/24 h et des quantités irrégulières de méthane (Tomlin, J et al. 1991). L'égalité des sexes est ici une réalité : les hommes et les femmes produisent les mêmes quantités de flatulences.
On ne résoudra ni l'égalité des chances, ni la désaffectation des études en sciences avec ces articles, mais apporter un peu d'humour, voire avec certains publics une touche bien contrôlée de truculence peut contribuer a donner faire évoluer une image austère de la science à laquelle peu de jeunes s'identifient.

Sources

  • Altairac, Séverine. (2009). De l'origine des flatulences. Dossiers Prolune Dossier n°26, mai 2009
  • Azpiroz, F Intestinal gas dynamics: mechanisms and clinical relevance Gut 2005 54: 893-895
  • Hignard, L., Pontoppidan, A., & Le Bris, Y. (2008). Les plantes qui puent, qui pètent, qui piquent: Gulf Stream.
  • Morris, Desmond, 1980, La fête Zoologique, Calmann-Lévy
  • New Scientist. (2007). Pourquoi les manchots n'ont pas froid aux pieds? : Et 111 autres questions stupides et passionnantes (N. Witkowski, Trans.). Paris: Seuil.
  • New Scientist, (2005) Mais qui mange les guêpes ? Et 100 autres questions idiotes et passionnantes (N. Witkowski, Trans.). Paris: Seuil.
  • Science News The Naked Scientists: Science Radio & Science Podcasts
  • Tomlin, J., Lowis, C., & Read, N. W. (1991). Investigation of normal flatus production in healthy volunteers. Gut, 32(6), 665-669.
  • Venturini, P. (2007). L’envie d’apprendre les sciences : motivation, attitudes,rapport aux savoirs. Paris: Fabert.
  • Wikipedia : article Stercobiline consulté le 10 sept. 09
  • Wikipedia : article lactose consulté le 17 X 09