jeudi 23 septembre 2010

La percolation des découvertes scientifiques dans la presse.

Comprendre scientifiquement ces résultats c'est les mettre en perspective …

Parmi les très nombreux articles du CISA, nous avions mentionné (Bio-tremplins du 17IX010) un article sur la mémoire des émotions faciales.
Cette nouvelle a été reprise dans la presse en général. Nous allons comparer un peu l'original et ce qu'il en reste dans la percolation de l'information à travers les strates de la vulgarisation.

La science : des conclusions étayées...

L'article scientifique de Vrtika, P. et al. (2009) quant à lui, décrit comment ils ont procédé, ce qu'ils ont trouvé (résultats),  et discute l'interprétation possible (conclusions).

Comment ils ont procédé  

Pour être complet :cf  METHODS pour ceux qui ont un accès (les étudiants l'ont par leur université !). En gros ils ont présenté des visages juste après que le sujet ait gagné ou perdu à un jeu. Les visages étaient souriants ou fâchés (cf fig 2a). Comme s'ils se réjouissaient de la victoire, ou de la perte, ou en étaient fâchés (fig 2b).  Le visage joyeux lorsqu'on perd ou fâché quand on gagne est appelé dans l'expérience : ennemi "foe". Ils ont mesuré par IRMf les zones qui s'activaient lors de la présentation de tous ces visage et ~5 minutes plus tard lorsque ce même visage leur était présenté à nouveau lors d'une autre activité.

Illustration of the paradigm and the four, different, feedback conditions.

Fig 2 : le principe de l'expérience et les 4 conditions de feed-back visuel. [img] Source : Vrtika, et al. (2009)

Ce qu'ils ont trouvé : les résultats.

...une sélection des  RESULTS  complets.

résultats principaux
Fig 3 : c-d un des résultats de l'expérience : l'ACC s'active plus quand le visage est  "ennemi" (il sourit de votre défaite ou est en colère de votre victoire). [img] Source : Vrtika, et al. (2009)



Parmi d'autres résultats,  celui qui a le plus frappé en général est le fait que certaines zones dont l'amygdale, et le cortex cingulaire antérieur (anterior cingulate cortex =ACC) s'activent plus lorsqu'on revoit les visages qui étaient "ennemi". L'ACC est en général considérée comme une région qui module et régule les émotions "Finally, of particular interest, [...], we found that activity in the rostral ACC was significantly modulated by the prior social context of faces, and exhibited a selective increase to faces of “foes” from the two incongruent feedback conditions. " Cf. Purves

L'interprétation possible :

Une sélection des DISCUSSION et CONCLUSIONS L'article suggère – en des termes prudents – qu'on se souvient des émotions évoquées la première fois qu'on rencontre un visage. "the activation of some of these regions to new encounters of the same face identities is modulated by the positive (friendly) or negative (hostile) nature of past social context, providing a neural substrate for enduring person impression that can influence emotion and behavior during subsequent presentation with the same face identities. " Le lecteur moyen de cette revue (Nature) est sans doute capable de mettre en perspective dans les hypothèses ces données : Par exemple savoir que la mesure du signal IRMf est interprétée comme l'activation d'une zone : c'est une hypothèse très forte actuellement. Mais qu'en fait avec l'IRMf BOLD (@lecerveau.McGill)[img] on mesure indirectement un afflux de sang qui se produit après l'activation et on doit déduire ce délai (quelques secondes). Que chaque image est une différence de l'ensemble des activités mesurées entre une condition considérée comme "repos" et celle testée, etc.   Mais sans ce recul, peut-on bien comprendre ces résultats ? D'autre part les auteurs discutent les autres explications possibles et la portée, la solidité de ces conclusions. "Because most of the abovementioned areas showed the highest levels of activation for familiar faces previously encountered in an incongruent social context, our results could potentially also be interpreted as a simple incongruency/congruency effect on memory. However, an incongruency effect would predict similar influences for both types of incongruent faces irrespective of their previous expression (smiling or angry), whereas our results indicated a clear difference as a function of expression, in agreement with a role for more specific factors related to affective/social perception during encoding."
Ainsi les conclusions sont étayées par des données et une justification en référence aux hypothèses étaye les conclusions : cet article permet au lecteur de se construire une connaissance scientifique !

Une information scientifique devient une question de Trivial Pursuit ?

Cette recherche Vrtika, P. et al. (2009) a été reprise dans la presse en général. On la retrouve naturellement simplifiée. Ce qui est intéressant, c'est de voir ce qui reste lors de ce processus. Cette nouvelle a été reprise dans la presse en général. Mais évidemment simplifiée. Ce qui est intéressant, c'est de voir ce qui reste lors de ce processus.  Les articles mentionnent le plus souvent une des conclusions, mais pas les conditions expérimentales ou les interprétation qui permettraient de comprendre la portée de l'information. Par exemple le gratuit "20minutes" du 20 août titre : "Ennemis mémorisés " puis  un bref article :
" Le cerveau reconnaît les visages, surtout ennemis. Des chercheurs de l'Université de Genève ont découvert qu'il suffisait d'une seule et courte confrontation pour se souvenir de l'impression. " (page 3).
Une partie des conclusions – sans justification ni référence aux méthodes – est tout ce qui reste. Et décrit en insistant sur les dimensions dramatiques ou sensationnelles.  C'est sans doute un bon  article pour susciter l'envie de savoir, ou pour amorcer un questionnement. Dans le contexte éducatif c'est peut-être un excellent article pour susciter l'envie de savoir, ou pour amorcer un questionnement, mais si c'est sur de tels articles que la culture scientifique des jeunes se construit, on peut être inquiet. Or certaines recherches suggèrent que les jeunes acquièrent plus de leur culture scientifique à travers les médias qu'à l'école... 

Ce que la presse a publié sur cette nouvelle

Chacun pourra se faire une idée de cette dégradation de l'information en lisant la sélection d'articles de presse suite à cette publication scientifique que le CISA a rassemblée.

La dégradation de l'information dans le processus de vulgarisation

Cette transformation est classique, et a été étudiée par d'autres scientifiques. Dans un chapitre d'un ouvrage édité par W.Doise de l'université de Genève, et C. Garnier des chercheurs Lausannois Green, E. G. T., & Clémence, A. (2002) étudient comment une publication scientifique voit son contenu transformé par la vulgarisation.
"En circulant, la découverte scientifique est débarrassée progressivement d'un ensemble d'éléments caractéristiques de la pensée informative. Le vocabulaire expert, précis et abstrait, est remplacé par des expressions concrètes et connues. La description expérimentale est abandonnée au profit d'une focalisation sur les choses étranges et troublantes qui, après avoir été simplifiées, se transforment en affirmations générales. Les éléments de l'article initial sont simplifiés autour d'une idée ou d'une image centrale. Celle-ci [...] prend place dans un débat sur ses conséquences éventuelles et pousse les personnes à développer des points de vue pour donner une conclusion à une histoire incomplète."

Un exemple de percolation :  Les bases moléculaires de l'attachement chez les mammifères

Pour l'exemple étudié par Green, E. G. T., & Clémence, A. (2002).
D'autres connexes

Dégradation inéluctable ou niche éducative différente ?

Pour produire ces Bio-Tremplins je dois lire Nature et Science (oui, c'est une chance, mais c'est ~200 pages bien tassées toutes les semaines ou deux), et je vois comment la plupart du temps la publication d'origine se fait dans ce type de revues, puis est repris dans La Recherche et Science et Vie par exemple, pour arriver dans les journaux grand public. Quelques exemples de cette percolation sont disponibles ici. Faut-il en déduire que certaines revues seraient mauvaises et d'autres bonnes ? Je pense plutôt qu'on peut -en fonction de leur niveau de formulation- déterminer laquelle de ces revues est plus adaptées a un public scolaire déterminé ou a un type d'activité.  En particulier on peut distinguer des articles qui suscitent le questionnement, des articles qui permettent de trouver des réponses. Alors on distinguera dans chacune de ces revues différents types d'articles. Certaines News de Nature sont assez accrocheuses ( Abdulla, Sara. (1999). GM mouse makes a mastermind), alors que certains dossiers de Science & Vie sont bien étayés. (Tourbe, Caroline. (2009) Science et Vie IX09 p. 67 Extraits intranet.jpg). Ainsi l'adéquation du type d'article à l'activité des élèves est peut-être plus pertinente pour trier ces articles... Les articles pour susciter les questions, pour aider à définir un problème, pour donner de l'information scientifique, pour poser les questions et les enjeux éthiques...

Sources

  • Green, E. G. T., &Clémence, A. (2002). De l'affiliation des souris de laboratoire au gène de la fidélité dans la vie : un exemple de transformation du savoir scientifique dans le sens commun. In C. Garnier & W. Doise (Eds.), Représentations sociales. Balisage du domaine d'études. Montréal: Éditions nouvelles, pp. 147 - 155, 2002. (pp. 147 - 155). extraits OCR intranet.pdf
  • Vrtička, P., Andersson, F., Sander, D., & Vuilleumier, P. (2009). Memory for friends or foes: The social context of past encounters with faces modulates their subsequent neural traces in the brain. Social Neuroscience, 4(5), 384‑401. http://doi.org/10.1080/17470910902941793 |Intranet.pdf
  • Tourbe, Caroline. (2009) Science et Vie IX09 p. 67 Extraits intranet.jpg

Formations continues pour la Biologie

Bernd Hatlanek nous transmet ce message. J'ajoute que si le délai est très proche , il y a peut-être encore des places mais il faut agit sans tarder
Chers collègues,

L'offre de FC est particulièrement riche cette année pour les biologistes.

Je vous suggère en particulier les formations suivantes :

- CO-00121 - Regards croisés sur la démarche scientifique. Quels apports disciplinaires de la biologie, de la physique et des mathématiques ?
Cette FC sera probablement l'événement de cette année pour les enseignants de sciences. Mise en place par les groupes de biologie et de physique avec la collaboration précieuse du Pr. J.L. Dorier de l'Unige (math). Nos intervenants sont les références absolues du moment. Pour la biologie nous avons la chance d'avoir M. Christian Orange.


- CO-00122 Comment enseigner le rapport scientifique ?
Cette formation propose de discuter du rapport scientifique sous toutes ses formes et de mettre en avant ce que l'élève apprend au final.
Nous avons une intervenante de qualité en la personne de Claudine Larcher.


- CO-00147 - Comment enseigner le système nerveux en 7ème (9e Harmos) ?
Il est question de préparer le terrain pour la mise en ouvre du PER avec Mme Schneeberger comme intervenante. L'aspect pédagogique sera mis en avant, une séquence d'apprentissage sera discutée.



- CO-00120 - Méthodes pratiques pour l'étude d'un écosystème de proximité.
Cette formation proposée par des biologistes de l'association la libellule à la demande du groupe de biologie


Le délai d'inscription est le 24 septembre sur le site de la FC:
https://prod.etat-ge.ch/formation/sc1120DisplayAction.do?offre=CO

Avec mes meilleures salutations

Bernd Hatlanek
Président du groupe de biologie
CO de l'Aubépine

vendredi 17 septembre 2010

Imagerie cérébrale : faut-il repenser l’humain émotionnel ?

Il l'aime : l'image le prouve ! ...Vraiment ?

l'amour-desactive-jugement ? Fig 1 : Cette image de l'activité de zones du cerveau serait la preuve que l'auteur de ce blog est amoureux ? Le blog ici associe directement l'activation de certaines zones et le désir, l'attachement et l'amour romantique. La force de conviction des images ne devrait pas se substituer à une discussion des conclusions.[img]Source : A.J. Jacobs (2009) Do I Love My Wife? An Investigative Report Esquire.com

Des images de l'activité de certaines zones du cerveau sont souvent affichées comme "preuve". Surtout dans la presse vulgarisée, mais certains mettent en garde contre la la force de conviction des images qui risque de se substituer à une mise en perspective des résultats permettant des mesurer la porté des conclusions.

Connaitre la manière dont les résultats sont obtenus est une des caractéristiques d'une connaissance scientifique. Mais l'iRMF est un domaine encore nouveau pour beaucoup.
Une journée avec 4 spécialistes de haut niveau sera l'occasion d'en approfondir les techniques, mais aussi d'en mettre en perspective les conclusions.

Formation continue pour les maîtres de biologie, de philosophie et tous les autres !

Imagerie cérébrale : faut-il repenser l'humain émotionnel ?

Vendredi 4 février 2011 salle MS 160 Unimail

avec 4 experts de haut niveau :
François Ansermet, Julien Deonna, Didier Grandjean et Patrik Vuilleumier

Description des techniques d'IRM fonctionnelle, discussion de leurs limites à l'aide d'exemples dans le domaine des émotions, de la prise de décision, de la reconnaissance faciale et vocale et de l'attachement.
- Regard psychanalytique sur le rapport corps/esprit dans les émotions.
- Neurobiologie : le point de vue biologique sur les exemples cités.
- Eclairage philosophique : le rapport du corps et de l'esprit.
- Débat et confrontations de points de vue.

Inscription ici PO-10401 (pour les non-enseignants genevois contacter E. Scheidegger ici)


De nouvelles techniques donnent de nouvelles réponses à des questions fondamentales

La neuroimagerie et notamment l'IRMf (cf Bio-Tremplins du 27 février 2008 Voir les pensées dans le cerveau ?) a ouvert des possibilités d'explorer le cerveau en pleine action : mais l'explosion du nombre des résultats publiés rend difficile de se faire une idée claire de ce qu'on sait vraiment. Et distinguer des extrapolations journalistiques !

De nombreux résultats suggèrent qu'on serait en train de trouver les bases neurologiques de comportements fondamentaux de l'humain comme la morale (Greene, J. D., (2001).Ici ), l'empathie (Singer, T., et al. (2004) ici), ou d'autres sentiments L'agressivité des ados visualisée dans le cerveau ?(Bio-Tremplins du 5 mars 2008) , voire de pénétrer l'intimité de la pensée individuelle (cf Bio-tremplins du 14 mars 2009 lire dans nos pensées ?)

La presse en regorge : par exemple

Un éclairage très différent selon les disciplines

D'un autre côté l'idée que l'esprit se réduirait à l'activité du cerveau (l'esprit serait la manifestation des fonctionnements des neurones et du cerveau) n'est pas démontrée. Les philosophes parlent de monisme par opposition au dualisme dans lequel l'esprit ne se réduit pas à ce qui se passe dans le cerveau. On voit bien que la manière d'aborder cette question est très différente pour un biologiste, un philosophe, un psychologue ou un psychiatre.

Ces qA chacun son cerveau : Plasticité neuronale et,               inconscient [Broché],François Ansermet (Auteur), Pierre,               Magistretti (Auteur)uatre spécialistes renommés ont accepté de confronter leurs visions sur la question du corps et de l'esprit et de confronter leurs éclairages croisés sur ce que sont dans leur domaine les émotions. Un Psychiatre :

  • Prof. François Ansermet, pédopsychiatre, Faculté de Médecine, a exploré avec Pierre Magistretti les liens entre neurosciences et psychanalyses, dans un ouvrage qui a pour titre "Les énigmes du plaisir" à paraître aux Editions Odile Jacob. Ainsi que "À chacun son cerveau : plasticité neuronale et inconscient," [img] aux Editions Odile Jacob
Un neuropsychologue, un philosophe et un neurologue du Centre Interfacultaire en Sciences Affectives CISA :
  • Prof. Didier Grandjean, professeur en neuropsychologie et neurosciences affectives, Faculté de Psychologie et Sciences de l'Education et Centre Interfacultaire en Sciences Affectives,
  • Prof. Julien Deonna, professeur en philosophie, Centre Interfacultaire en Sciences Affectives,
  • Prof. Patrik Vuilleumier, neurologue, Faculté de médecine et Centre interfacultaire de neurosciences, Université de Genève.

A la croisée de la Neurobiologie ...

Juste pour vous faire envie, parmi les très nombreux articles du CISA, citons d'abord un article sur la mémoire des émotions faciales. Nous y reviendrons dans une Bio-Tremplins prochaine.

Et de la psychologie expérimentale...

La psychologie est à l'université de Genève principalement une discipline expérimentale que les biologistes verraient assez facilement comme de l'éthologie humaine. L'objectif est de comprendre le fonctionnement de l'esprit humain, pas directement de soigner. Dans un autre article du CISA avec Grandjean et Vuilleumier (publié sur PLOSone et donc gratuit et librement accessible ici), Vrticka. et al. (2008) étudient avec un dispositif similaire comment le style d'attachement (secure, avoidant, anxious) est lié à l'activation de différentes zones cérébrales. Ils démontrent des liens entre des dimensions psychosociales de l'attachement chez les adultes et des fonctionnements de l'encéphale. En extrapolant et pour provoquer, on pourrait dire que la manière d'aimer et d'avoir besoin d 'affection se manifesterait par l'activation différente de l'amygdale et du striatum. C'est sûr que cette manière de voir la révélée à d'autres les profondeur de notre intimité par un appareil d'IRMf peut faire réagir. Le besoin d'affection et d'amour se réduit-il à des zones qui s'activent ? Les quatre spécialistes ne seront pas du même avis sur des questions comme celle-là, je pense ! Et je me réjouis d'entendre les débats.

Et aussi de la psychologie clinique et de la philosophie...

Je préfère m'abstenir d'essayer de résumer sérieusement les positions dans des domaines que je connais moins... mais je vais tenter de vous donner envie de les connaitre ! La psychologie clinique (le "psy-divan" pour faire court et provocant) aborde ces questions dans un cadre théorique où Freud et Jung ont leur place et où l'objectif est de soigner. La gestion des émotions et naturellement au coeur des approches thérapeutiques mais on parle moins de molécules et de zones activées, ... on intervient plutôt par l'interaction entre le thérapeute et le patient. Le Pr. Ansermet présentera un éclairage de la question qui risque d'étonner les biologistes, mais qui révèlera des dimensions de la question qui passionneront et pourraient inciter à repenser certaines certitudes. Le philosophe Prof. Julien Deonna, montrera comment on a abordé à travers les âges les émotions et le rapport du corps et de l'esprit et ce que ces différentes approches disent sur la pensée de ces époques. Et aussi a mettre en perspective la vision propre à chaque discipline comme un regard possible parmi d'autres. Ceux qui veulent garder leurs positions bien claires et carrées s'abstiendront : ça risque de décoiffer !

D'autres liens sur la neuroimagerie

Sources

vendredi 10 septembre 2010

Les temps de la vie, regards d'un biologiste sur l'être et le temps - 21 septembre 2010

Le temps d'une conférence...

Cette conférence d'ouverture du semestre est ouverte et sera certainement passionnante : on sait le talent d'orateur de Denis Duboule et sa capacité à voir les problèmes de manière plus large et sous des éclairages originaux : à coup sûr on ressortira de cette conférence avec le cerveau pétillant de bulles de savoir qui picotent agréablement certaines idées reçues et révèlent de nouvelles questions.

"Sa grande qualité était l'aptitude à goûter l'étrangeté qui marque l'esprit des véritables chercheurs." MORRIS, Desmond, 1980, La fête Zoologique, Calmann-Lévy

Les temps de la vie conférence de D. Duboule le 21 septembre
Fig 1 : Les temps de la vie conférence de D. Duboule le 21 septembre . [img]

Les temps de la vie, regards d'un biologiste sur l'être et le temps - 21 septembre 2010

A l’occasion de sa leçon d’ouverture du semestre d’automne, l’UNIGE vous invite à la conférence de

Denis Duboule,
Professeur de zoologie et biologie animale à l’UNIGE et l’EPFL et Directeur du Pôle de recherche national Frontiers in Genetics

Mardi 21 septembre 2010 à 18h30 Uni Dufour - U600 24 rue Général-Dufour

Entrée libre

Le temps est une notion complexe, quelque soit le contexte dans lequel on la considère. Alors que certaines disciplines l’ont pleinement intégrée dans leur réalité, telle la physique, d’autres nient son existence même. Les sciences de la vie, quant à elles, ne peuvent se concevoir que dans la temporalité, car la vie elle-même n’a de sens que dans le déploiement du temps. Mais de quel temps parlons-nous? Le temps d’une réaction chimique, d’une grossesse ou de la formation d’une espèce? Et comment ces nombreux référentiels récursifs ou linéaires, de la milliseconde au million d’années, s’imbriquent-ils les uns dans les autres pour construire notre histoire personnelle et collective?

vendredi 3 septembre 2010

Pourquoi les lucioles clignotent à l'unisson

Les mâles brillent pour allumer les femelles...

Plusieurs lucioles (Coleoptera : Lampyridea) attirent les femelles en clignotant à une fréquence différente pour chaque espèce. Les femelles répondent en clignotant de leur manière à elles, ce qui permet la rencontre et la reproduction. On a observé chez certaines espèces que de très nombreux individus se synchronisent ; parfois dans une forêt entière, produisant une sorte d'effet "guirlande de noël" saisissant. La raison de cette synchronie n'était pas bien établie. Une étude récente parue dans Science révèle que ce serait afin de faciliter la détection par les femelles.

  • Closeup Photo of Firefly
    Fig 1 : Les lucioles émettent de la lumière par le dessous de leur abdomen. [img] Source : Firelfly-pictures ici
Un peu de recul pour comprendre l'expérience ... On peut noter que cette expérience s'inscrit -et prend du sens - dans certaines hypothèses : notamment que c'est principalement la fréquence du clignotement qui est le stimulus-signal, (la composante utile pour déclencher ce comportement) de réponse lumineuse chez la femelle. Et que cet échange fait partie du comportement de cour.

Le comportement reproducteur des lucioles

Selon Discover Life in America (DLIA) , dès la tombée de la nuit, les femelles Photinus carolinus attendent sur le sol que des mâles qui passent émettent leur signal clignotant (une salve de 5-8 éclairs suivis d'une phase obscure de 5-8 secondes). Elles répondent durant ce "silence" visuel avec leur signal clignotant spécifique. Alors le mâle trouve la femelle et se reproduit avec. Les motifs de ces clignotements sont spécifiques : pour chaque espèce la succession d'éclairs et le délai entre les salves est différent. La figure 3 montre les motifs temporels des mâles de 6 espèces différentes. clignotement des lucioles de différentes espèces
Fig 3 : Motifs de clignotements spécifiques de plusieurs espèce de lucioles ; la succession d'éclairs et le délai entre les salves est spécifique. [img] Source : Discover Life in America ici

Pourquoi cet échange stéréotypé de clignotements ?

Il me semble qu'on peut considérer cet échange spécifique de clignotements du mâle puis de la femelle comme un comportement stéréotypé, équivalent à celui de l'épinoche (intranet.jpg). Il aurait alors comme effet de sélectionner pour l'accouplement des individus de la bonne espèce, du bon sexe, et prêts à la reproduction. Cependant, selon (Milne and Milne, 1980) dans l'excellent article sur ADW des prédateurs interceptent et exploitent cette communication; les femelles d'une autre espèce de luciole Photuris pyralis imitent le signal de Photinus pyralis et attirent ainsi les mâles (pas de commentaires féministes merci) qui sont dévorés. Ou plus exactement la prédatrice injecte un poison qui paralyse et liquéfie la proie, dont le contenu est ensuite aspiré. Bon appétit !

Pourquoi les mâles allument plus... ?

On peut noter que les mâles assument une plus grande part du risque en étant plus visible, comme chez les oiseaux avec leur chant par exemple. On a souvent expliqué cette différence par l'asymétrie de l'investissement dans la reproduction : comme les spermatozoïdes sont plus petits que les ovules, ce sont les mâles qui prennent plus de risques produisent plus de descendants, alors que les femelles plus prudentes ont plus de descendants.
"La sélection intrasexuelle désigne la sélection qui a lieu entre des individus de même sexe. Elle passe par la concurrence directe pour gagner les faveurs d 'un partenaire de sexe opposé. La sélection intrasexuelle est généralement plus évidente chez les mâles, car pour le mâle, le succès de la reproduction dépend beaucoup plus de la capacité de se trouver une partenaire que de produire les cellules nécessaires à cette fonction (alors que ce sera l'inverse pour la femelle)." Campbell, N. A., et al. (2004).
Ainsi les lucioles actuelles sont les descendantes des mâles qui ont bien clignoté le rythme qui convenait pour attirer l'attention des femelles... et de celles qui ont choisi un mâle et clignoté discrètement mais de manière adéquate leur assentiment. (Pas de commentaires macho' ou féministes merci).

Plus d'infos sur ces lucioles ?

Comment ont-ils mesuré le stimulus qui déclenche le clignotement de la femelle?

La raison de ce clignotement synchrone en masse à suscité de nombreuses hypothèse, mais la recherche de Moiseff, A. et al. (2010) apporte des éléments de réponse basés sur des données rigoureuses et discutées de manière critique et prudente. On appelle ça de la science… Pour explorer comment les femelles répondaient à divers stimuli de fréquence et de position, Moiseff, A. et al. (2010) ont placé des femelles de luciole Nord américaine (Photinus carolinus) dans un environnement avec des mâles artificiels (des diodes lumineuses LED) qui clignotaient de manière plus ou moins synchrone.

Firefly, bioluminescence, mating, LED
Fig 2 : Des leurres de mâles artificiels constitués d 'une diode lumineuse (LED) ont permis d'explorer les réactions des femelles. [img] Source : Andrew Moiseff in Scientific American ici

Elles ont répondu à 82% des "mâles" artificiels synchrones et 3% seulement des mâles désynchronisés. Cf. figure 4.

Fig. 1.,             Female responses to synchronous and asynchronous virtual,             males. (A to D) Flash patterns of eight LEDs for different,             stimuli. Green indicates that the LED is producing light.,             Each horizontal line corresponds to one LED. For all,             stimuli, each LED produced the same malelike pattern, but,             the relative phase delays between the LEDs differs. (A),             Unison synchrony. No phase delays between any LEDs. (B),             Near-unison synchrony. Short phase delays between LEDs. (C),             Nonsynchronous stimuli with moderate variation of phase,             delays between the LEDs. (D) Nonsynchronous stimuli with,             large variation of phase delays between the LEDs. (E) Two,             phrases of the P. carolinus malelike flash pattern. The             time, calibration also applies to (A) and to (D). (F)             Percent, female response to 10 stimulus phrases for each             stimulus, sequence (mean ± SD; **P < 0.01, paired t test,             one, tail). Unison synchrony was presented repeatedly as a,             control.
Fig 4 : Taux de réponses (F) des femelles à divers degrés de synchronisation (A-D) des mâles artificiels. (E) Motif normal de clignotement du mâle Photinus carolinus . [img] Source : Moiseff, Andrew, et al. (2010). Figure complète et légende ici

Il apparaît clairement que les femelles réagissent plus a un mâle qui clignote à l'unisson avec les autres qu'à un mâle qui clignote dans le "bruit " visuel de lucioles non coordonnées, même si chacun produit bien le rythme propre à l'espèce.

Qu'est-ce qui a bien pu favoriser les mâles qui clignotent à l'unisson ?

Ils notent que comme les lucioles mâles volent, la détection de la fréquence du clignotement d'un individu parmi d'autres implique de suivre cet individu dans ses déplacements tout en mesurant les temps d'extinction et d'allumage. Dans un environnement visuel chargé, ils pensent que cette tâche est peut-être trop difficile pour les femelles, (pas de commentaires macho' merci) qui ne détecteraient pas certains clignotements hors de la région observée. Un peu comme si nous essayions de suivre une balle clignotante la nuit dans une rue garnie d'enseignes lumineuses clignotantes. Ou comme si on essayait de faire du tennis dans une disco avec un éclairage stroboscopique. Les auteurs relèvent qu'on ne peut pas exclure une autre hypothèse : les femelles préfèreraient simplement les stimuli synchrones. Difficile de trancher. En science il ne suffit pas de montrer que le modèle proposé est compatible avec les données, il faut encore montrer que les autres explications envisageables ne sont pas étayées par les données. Ou pas aussi bien. " Future experiments will be required to differentiate between these alternatives. However, behavioral considerations lead us to favor the pattern recognition interpretation." Prudente conclusion...

Se noyer dans la masse pour mieux être repéré ?

Ainsi de manière paradoxale, pour être mieux repéré chaque mâle a intérêt à clignoter en même temps que les autres. Peut-être que le conformisme vestimentaire des jeunes est aussi une manière indirecte de se mettre en valeur et d'attirer l'attention de l'autre dans la surabondance de stimuli auxquels ils sont confrontés ?

Sources