lundi 28 février 2011

Perspective forcée pour séduire les femelles

Une perspective forcée met en valeur le mâle ?

Une récente News de Nature (ici) décrit une recherche sur des oiseaux à berceau qui attirent les femelles par une parade dans un espace spécialement préparé (cour) devant une sorte de berceau en brindilles d'où la femelle les observe, Les chercheurs,  Endler, J. A.,et al.(2010) montrent que les mâles de certains oiseaux à berceau australiens organisent les cailloux de leur cour du plus petit vers le tunnel au plus grand au loin. (Cf fig 1c) Ce gradient de taille crée selon les chercheurs une illusion optique qui les fait paraitre plus grands et plus frappants.


Fig 1 : a) le mâle devant, guette l'arrivée de la femelle qui apparait de l'autre coté du berceau. b) la cour est garnie de cailloux de taille graduée. c) Normalement des objets de taille identique sont vus sous un angle décroissant avec la distance -d)  les mâles de Chlamydera nuchalis organisent les cailloux de leur cour du plus petit vers le tunnel au plus grand au loin, ils sont vus par la femelle qui les regarde sous des angles constants malgré la distance.  [img] Source Endler, J. A.,et al..(2010). 

Des oiseaux qui attirent les femelles par leurs constructions plutôt que par un plumage spectaculaire.

Selon C. Lavorel, ces bowerbirds , les " oiseaux à berceaux" en français, ne doivent pas être confondus avec les oiseaux de paradis; en particulier ils n'ont pas un plumage spectaculaire mais séduisent par leurs constructions" qui peuvent être des simples dômes ou des constructions élaborés avec une sorte de tunnel et une cour pavée d'objets colorés (baies, fleurs, capsules et autres objets humains) cf fig 2.

phylogenie
Fig 2 : Phylogénie probable des oiseaux à berceau. [img]Source : Grange . (1973) 

Chez ces oiseaux à berceau, selon Maxmen, Amy. (2010) les mâles passent jusqu'à 80% de leur temps à soigner cette cour (Jacques Dutronc l'aurait peut-être appelé un piège à oiselles, un joujou extra.)

Fig 3 : Les oiseaux à berceaux séduisent par leurs constructions. [imgsource : Greg Miles
Quand elle cherche un partenaire, la femelle se tient dans le berceau (tunnel) et observe la cour où le mâle l'attire avec des cris rauques, des sauts, et en agitant un objet coloré. cf Fig 1a.

Un mâle qui crée un gradient de cailloux et une illusion d'optique ?

Maxmen, Amy. (2010) décrit dans Nature news, comment John Endler et al. (2010), de l'université Deakin à Geelong, Australie, ont étudié Chlamydera nuchalis dont le berceau, est constitué d'un sorte de tunnel de 60 centimètres de long qui se termine par une 'cour' (cf video).
Les chercheurs ont pris des photos depuis le tunnel et ont réalisé que les cailloux tapissant le sol de la cour étaient arrangés par taille, des plus petits aux plus grands créant une illusion d'optique nommée perspective forcée. Cf. Fig 4a) et 4c).

Fig 4 : les cailloux tapissant le sol de la cour étaient arrangés par taille, des plus petits aux plus grands.Quand les chercheurs ont inversé le gradient de taille, les mâles ont rétabli un gradient en trois jours  [img]Source :Endler, J. A., Endler, L. C. & Doerr, N. R.(2010). 
Quand les chercheurs ont inversé le gradient de taille, fig 4 b) et 4 d) les mâles ont rétabli un gradient en trois jours et reproduit l'illusion complète en 3 semaines.
Cela indique clairement que ce gradient est important pour eux, dit Endler.
 Normalement des objets de taille identique sont vus sous un angle décroissant avec la distance Cf fig 1 c)mais avec un gradient de cailloux du plus petit vers le tunnel au plus grand au loin, ils sont vus par la femelle qui les regarde sous des angles constants malgré la distance.

Si les oiseaux voient comme nous, la cour paraitrait plus petite qu'elle ne l'est et l'oiseau par contraste plus grand qu'il ne l'est vraiment. James Ha, un chercheur en comportement cognitif à l'University of Washington in Seattle, pense que c'est un cas unique : "I can't think of any other animal that clearly uses optical illusions."
On pourrait imaginer que ce comportement révèle les capacités cognitives des mâles, que les femelles préfèreraient ainsi les plus malins, pensent les auteurs. Mais Ha objecte que ce pourrait être un comportement inné (Hardwired) qui ne nécessite pas de grandes capacités cognitives.
Par ailleurs une illusion bien réalisée pourrait signifier qu'on a affaire a un mâle efficace pour ramasser les objets, voler des objets colorés aux autres et protéger son oeuvre des voleurs. Un gradient extrême pourrait simplement refléter un environnement riche en objets. En effet, suggérer que les oiseaux prendraient des décisions esthétiques quand ils arrangent méticuleusement leurs berceaux et cours irrite de nombreux chercheurs. "Je n'aimerais pas qu'on lise cette recherche et qu'on aille dire que ces oiseaux sont plus malins que michelange" dit Gerald Borgia, biologiste à la University of Maryland in College Park.
  • Un article plus complet sur cette recherche, dans Nature ici

La perspective forcée

La perspective et le gradient de densité de texture  sont deux des mécanismes utilisés pour apprécier les tailles malgré les distances parmi d'autres (perspective de taille, ombrage, interposition, saturation) (Rock, I. (1984) . Elle repose -entre autres - sur les lignes de fuite et la diminution de taille apparente d'objets de taille connue. Fausser les lignes de fuite ou ce gradient de taille peut faire apparaître les objets plus loin qu'ils ne le sont et donc leur donner une taille apparent faussée.
Fig 5 :  [img]Une perspective faussée donne l'impression que la femme de droite est beaucoup plus grande.Source :Myers, D. G. (1998).

La beauté des mâles : à cause des femelles sélectives...

On sait que les oiseaux mâles de nombreuses espèces sont munis d'un plumage magnifique qui attire les femelles (on ne peut s'empêcher de penser au Paon).
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Fig 6 : le mâle du paon attire les femelles par son plumage magnifique. 
La femelle du paon, très discrète, choisit le mâle pour son plumage magnifique.  [img]Source : Christophe EYQUEM  Licence Art Libre 

Cet exemple classique montre bien que l'évolution ne résulte pas d'une compétition pour la survie, mais pour la reproduction. « Chez toutes les espèces, il s'effectue des compromis entre la survie et les caractéristiques telles que la fréquence de reproduction, l'investissement dans les soins parentaux et le nombre de rejetons » (Campbell p. 1238)  Cet exemple classique montre bien que l'évolution ne résulte pas d'une compétition pour la survie, mais pour la reproduction. « Chez toutes les espèces, il s'effectue des compromis entre la survie et les caractéristiques telles que la fréquence de reproduction, l'investissement dans les soins parentaux et le nombre de rejetons » (Campbell p. 1238)
De toute évidence cette magnifique queue rend cet oiseau plus vulnérable aux prédateurs ! Si un paon apparaissait qui a des couleurs discrètes et qui n'est pas encombré d'une queue immense, (c'est sûrement arrivé) il survivrait sans doute beaucoup plus longtemps... mais comme les femelles l'ignoreraient, les paons actuels ne sont pas les descendants de cet individu « prudent », mais plutôt de ceux qui ont plu aux femelles , qui se sont comportés de manières que nous appellerions téméraires et flamboyantes. C'est en effet les femelles qui choisissent leurs partenaires chez ces oiseaux. « Puisqu'un événement reproducteur est souvent plus coûteux pour les femelles que pour les mâles, les femelles tendent à être plus sélectives dans le choix de leur partenaire (Raven p. 1125). »

Les femelles d'oiseaux sont souvent munies d'un plumage beaucoup plus discret. (cf. Fig. 6) On attribue en général cette différence à l'investissement différent dans la reproduction. Les femelles ont investi beaucoup d'énergie dans peu d'oeufs et la sélection a favorisé celles qui confient leurs gènes et donc le succès de leurs oeufs avec prudence, alors que chez les mâles – qui produisent des spermatozoïdes plus facilement – ce sont les plus attractifs pour les femelles qui ont le plus de descendants, même s'ils sont plus attaqués par les prédateurs.
« On peut interpréter la plupart des différences dans la stratégie de reproduction entre les sexes en comparant les investissements parentaux respectifs des mâles et des femelles. De nombreuses études ont montré que l'investissement parental des femelles est considérable. Une raison est que les ovules sont beaucoup plus volumineux que les spermatozoïdes; 195 000 fois chez les humains! De plus, chez certains groupes d'animaux, les femelles sont responsables de la gestation et de la lactation, des fonctions reproductrices couteuses. […]
La conséquence de telles disparités dans l'investissement parental est que les sexes devraient être confrontes à des pressions sélectives très différentes. (Raven p. 1125).
Toute transposition à l'humain et aux disparités dans l'investissement parental ou ménager serait très inappropriée, ce serait de l'anthropomorphisme à l'envers...
.-) 

Sources

  • Campbell, N. A., & Reece, J. B. (2004). Biologie: De Boeck.
  • Grange . (1973). Encyclopédie "La Faune". Batelière Paris, Kister-Genève et Erasme-Bruxelles-Anvers
  • Endler, J. A., Endler, L. C. & Doerr, N. R.(2010). Curr. Biol. advance online publication doi:10.1016/j.cub.2010.08.033 | intranet.pdf
  • Maxmen, Amy. (2010). Bowerbirds trick mates with optical illusions| Nature News 9 September 2010doi:10.1038/news.2010.45
  • Raven, P. H., Johnson, G. B., Losos, J. B., & Singer, S. R. (2007). Biologie. Bruxelles: de Boeck.
  • Rock, I. (1984). Perception. New York: WH Freeman.

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