jeudi 31 mai 2012

La malaria, la piste du CO2 pulsé et Expo : ensemble contre la malaria

Les moustiques et la malaria : un fléau !

La malaria tue un million de personnes par année ! Surtout des enfants.
Même si c'est peu par rapport au tabac qui fait près de 5 millions de morts par année (Source : OMS) c'est quand même un fléau mondial !
Le moustique qui la transmet serait peut-être l'animal le plus dangereux selon Stopfer, M. (2011). On sait que seules les femelles piquent pour nourrir leurs oeufs, qu'elles sont attirées vers les humains par le CO2 tout particulièrement, même si d'autres odeurs dans l'haleine, la transpiration et la peau jouent un rôle (Leal, W. S. 2010).
Une recherche de Turner, S. L. & Al. (2011) révèle que les moustiques femelles détecteraient les humains par les bouffées d'air riche en CO2 : elles remonteraient ce flux pulsé de CO2 détecté à l'aide de neurones spéciaux cpA. Ces neurones sont spécialement sensibles à des variations du CO2. Cela ouvre des pistes pour de nouveaux anti-moustiques.

Comment éviter les moustiques : de nombreuses recherches.

Les moustiques concernés (Anopheles sp., Culex sp.) sont l'objet de nombreuses recherches pour comprendre comment ils repèrent et s'approchent des humains, afin de perturber ces taxies et éviter que les moustiques nous trouvent et nous piquent, transmettant diverses maladies souvent graves. Ce n'est pas le seul cet axe de recherches contre la malaria, mais cette Bio-Tremplins présente quelques recherches, à l'occasion d'une exposition thématique au musée d'histoire naturelle de Genève sur la malaria.

Le N,N-diethyl-m-toluamide (DEET), composant actif de la plupart des anti-moustiques est courant mais cher et nécessite des applications répétées et à haute concentrations (10 à 70%). Il est donc peu approprié dans le tiers-monde. D'autres stratégies comme de simples moustiquaires pour protéger les dormeurs sont actuellement à la base d'actions à grande échelle dans le monde.
Mais le DEET est peut-être ce que vous mettrez pour vous protéger cet été lors des grillades, baignades ou dans vos voyages,...  dans des pays ou la malaria sévit.

Ensemble contre la malaria : Exposition au musée d’histoire naturelle jusqu'au 9 septembre 2012 

Le Muséum d'histoire naturelle de la Ville de Genève présente, du 15 mai au 9 septembre 2012, une exposition-dossier sur la malaria conçue par le Swiss Malaria Group. cf ICI 
malaria
Fig 1 :  Une défense efficace: en Tanzanie, une moustiquaire au-dessus du lit est la meilleure protection contre les moustiques de la malaria actifs la nuit. [img]Source : Photo: Alexander Jaquement, SolidarMed. libre de droit dans le cadre de l'exposition.


Cette exposition fait un point plus large et plus grand public, (c.f plus bas) et Bio-Tremplins saisit cette occasion pour présenter quelques travaux récents, qui pourraient avoir une pertinence à l'enseignement, comme exemples de taxies en éthologie ou de spécificité des récepteurs dans le système nerveux,…Ou pour votre curiosité scientifique !

DEET : efficace, mais des effets secondaires effrayants !

Le DEET est probablement le plus efficace (Fradin, Mark S.,et al. 2002) des répulsifs, mais fait fondre les plastiques et bloque certains canaux à cations et l'activité de la cholinestérase chez les mammifères (Stopfer, M. 2011),
Ceux qui ont été dans des régions infestées ont pourtant presque tous fini par recourir à ces produits dans leur forme concentrée tant les insectes peuvent être insupportables. Je suis revenu du Canada avec le dos de ma montre complètement lisse, toutes les indications effacées et les branches de mes lunettes bien attaquées, et je n'ai même pas été dans les zones comme en Alaska où on enregistre des centaines de piqûres par pouce carré de peau exposée à l'heure... 
La ville d'Edmonton au Canada donne par exemple des indices d'activité des moustiques (ici) comme nous avons la météo, les indices UV et le pollen.

Pas vraiment répulsif, mais désorientant, le DEET

Une autre recherche récente Ditzen, et al. (2008). rapportée par Petherick, A. (2008). (ici) révèle que le DEET ne fait pas fuir, mais agit plutôt en désactivant la détection des odorants humains que le moustique utilise.
"DEET interferes with a molecular complex in mosquitoes that normally responds to 1-octen-3-ol, a chemical that people sweat and exhale. This interference means that a mosquito encountering DEET loses interest in a juicy human target."Petherick, A. (2008)
Cela ouvre des pistes pour concevoir des nouveaux anti-moustiques :
   "We conclude that DEET masks host odor by inhibiting subsets of heteromeric insect odorant receptors that require the OR83b co-receptor. The identification of candidate molecular targets for the action of DEET may aid in the design of safer and more effective insect repellents." Ditzen, et al. (2008).
D'autant plus que des insectes résistants au DEET (insensibles à son effet insensibilisant faudrait-il dire...) commencent à apparaître (Weaver, J. 2010).

La piste du CO2 pulsé

Une nouvelle recherches en neurophysiologie des récepteurs du moustique ouvre des pistes nouvelles pour lutter contre ces fléaux.
Turner, S. L. & Al. (2011) révèlent que les moustiques détecteraient non pas directement le CO2 des humains mais les bouffées d'air riche en CO2 issues de la respiration : ils remonteraient ce flux pulsé de CO2 qui est détecté à l'aide de neurones spéciaux cpA. Ces neurones sont spécialement sensibles à des variations du CO2.
"Carbon dioxide (CO2) present in exhaled air is the most important sensory cue for female blood-feeding mosquitoes, causing activation of long-distance host-seeking flight, navigation towards the vertebrate host1 and, in the case of Aedes aegypti, increased sensitivity to skin odours2."

Clouds of CO2 exhaled by humans are segmented by wind
            into a series of pulses of vapour separated by clean air.
            Bloodthirsty mosquitoes track humans by following these
            pulses upwind, a process mediated by a specific olfactory
            sensory neuron called cpA
Fig 2 :  Les neurones cpA sont surtout sensibles aux variations du CO2. [img]Source : Stopfer, M. (2011).

D'où l'idée de Turner, S. L. & Al. (2011) : Puisque ces neurones sont spécialement sensibles à des variations du CO2,  du CO2 constant ou des odorants qui stimulent ces mêmes récepteurs de manière durable pourraient couvrir les variations et rendre les humains indétectables.
Mieux,on pourrait trouver une substance qui active de manière prolongée (ultraprolonged odorant) ces neurones pour les rendre incapables de détecter les humains en "assourdissant" les récepteurs de manière à les empêcher de détecter les variations fines du CO2 qui révèlent la respiration humaine (cf. figure 2 b en bas).  
Ils aussi ont fait des expériences qui montrent l'efficacité de tels ultraprolonged odorant comme le 2,3-butanedione, dans des sortes de serres "MalariaSphere"  et exploré comment ces substances perturbent la recherche de leurs proies par les moustiques

Ultra-prolonged activators
            disrupt attraction behaviour of female Culexmosquitoes in
            semi-field conditions
Fig 3 :  Ultra-prolonged activators disrupt attraction behaviour of female Culex mosquitoes in semi-field conditions. [img]Source : Stopfer, M. (2011).

Leurs résultats sont encourageants, mais sont loin d'être applicables immédiatement : ils faut encore mieux comprendre les effets de différentes doses et trouver des ultraprolonged odorant sûrs, économiquement, techniquement viables. On a donc une recherche fondamentale qui a d'abord comme effet de mieux comprendre l'animal, sa physiologie et son comportement. A long terme on sait que cette recherche conduit à des applications et aux "progrès de la médecine".

Dans l'immédiat, une exposition au Muséum d'histoire naturelle de la Ville de Genève traite des aspects médicaux, scientifiques et de l'état actuel des projets d'aide :

Ensemble contre la malaria
Exposition jusqu'au 9 septembre 2012


Le Muséum d'histoire naturelle de la Ville de Genève présente, du 15 mai au 9 septembre 2012, une exposition dossier sur la malaria: "Ensemble contre la malaria" conçue par le Swiss Malaria Group.

La malaria (ou paludisme) est considérée comme l’un des principaux fléaux dans le monde. Causée par un minuscule protozoaire, Plasmodium (agent), et se transmettant d’une personne à une autre par la piqûre du moustique anophèle (vecteur), cette maladie est l’une des plus meurtrières de notre planète en tuant chaque année plus de  600,000 de personnes. Elle constitue par ailleurs l’une des principales causes de pauvreté et de sous-développement de nombreux pays émergents.

Le Swiss Malaria Group* (SMG), qui regroupe quatorze organisations suisses, a joué un rôle actif et souvent pionnier dans l’innovation, la validation et l’implémentation des moyens de lutte. Ces efforts ont débouché sur un accroissement du nombre de programmes de distribution de moustiquaires imprégnées, des avancées dans le domaine des produits diagnostiques et sur l’introduction de thérapies combinées à base d’artémisinine (TCA) dans de nombreux pays. Des partenariats solides ont été établis entre des institutions dans les pays endémiques et des organismes au niveau international.

Malgré des décennies d’efforts, la lutte des humains contre la malaria est encore loin d’être gagnée. L’exposition "Ensemble contre la malaria" souhaite rappeler qu’une meilleure mobilisation générale des milieux de la recherche, de l’économie comme du public, pourrait sinon éradiquer, du moins fortement réduire cette maladie parasitaire.

Cette exposition s’affirme ainsi comme une "piqûre de rappel". Sa présentation au Muséum contribuera à sensibiliser un large public, tout particulièrement les jeunes et les enfants de la région, qui ne sont pas toujours suffisamment conscients de l’ampleur du problème du paludisme dans les pays du Sud. En accueillant "Ensemble contre la malaria" au Muséum, les entomologistes rappellent par ailleurs que les recherches sur la systématique et l’écologie des diptères anophèles joueront certainement un rôle déterminant dans la lutte contre le paludisme, en permettant de mieux cerner les faiblesses du vecteur de la maladie.

Sami Kanaan, Conseiller administratif, Département de la culture et du sport,  a inauguré l'exposition le 15 mai 2012 en présence de Didier Burkhalter, Conseiller fédéral,  chef du Département des Affaires étrangères et de Richard Kmawi, Ministre de la santé de la République de Namibie. Puis une table ronde, animée par des spécialistes, a permis de mieux cerner les enjeux présents et à venir de la lutte contre le paludisme dans le monde.

Ensemble
            contre la malaria
Ensemble contre la malaria: visuel libre de droit dans le cadre de l'exposition

"Ensemble contre la malaria" est bilingue français-allemand, avec une  traduction anglaise à  disposition.
Entrée libre.

Les pdf des versions française et anglaise de la brochure  ainsi que de l’iconographie, dont des photos de l'inauguration et de la table ronde, sont à disposition sur http://www.ville-ge.ch/mhng/presse_2012_malaria.php.

*Swiss Malaria Group (SMG)
Les organisations suivantes se sont alliées dans la lutte contre le paludisme dans le cadre du "Swiss Malaria Group" (SMG): la Direction du développement et de la coopération suisse, l’Institut tropical et de santé publique suisse, Novartis Pharma, la Fondation Novartis pour le développement durable, Mepha, Syngenta, Vestergaard-Frandsen, SolidarMed, la Croix-Rouge Suisse, Medicines for Malaria Venture, Drugs for Neglected Diseases initiative et Foundation for Innovative New Diagnostics. Le SMG travaille également très étroitement avec le partenariat mondial  "Faire reculer le paludisme" (Roll Back Malaria Partnership) implanté à Genève.
Le but du SMG est de créer des synergies entre ses membres et d'intensifier la lutte mondiale contre le paludisme afin de réduire le nombre de cas. Le SMG vise à soutenir les pays endémiques par des approches innovatrices en matière de lutte contre la maladie, de transfert de connaissances et de financements. En sensibilisant les institutions politiques et le grand public, le SMG a pour but d'accroître le soutien financier et pratique suisse aux organisations luttant contre le paludisme.

Informations pratiques
Muséum d'histoire naturelle de la Ville de Genève
1 route de Malagnou
1208 Genève, Suisse
Entrée libre
Ouvert du mardi au dimanche, de 10h à 17h
Tél: +41 (0)22 418 63 00; fax: +41 (0)22 418 63 01; info.mhn@ville-ge.ch
www.ville-ge.ch/mhng

mardi 29 mai 2012

La vessie plus souple la nuit permet de tenir !

La plupart des gens vont faire pipi au moins une fois dans une journée de 8 heures au turbin, mais passent la nuit sans se lever...
Comment se fait-il que nous "tenions" le plus souvent une nuit de 8 heures alors que de jour cela n'est guère possible !  C'est avec cette question que  ouvre sa nouvelle dans ScienceShot. (ici) Une recherche récente révèle qu'une protéine au nom charmant de Cx43 ( Connexine43) une protéine de gap junction  détermine la sensibilité de la vessie à l'extension et est sous le contrôle de l'horloge biologique.
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Fig 1  : La plupart des gens vont faire pipi au moins une fois dans une journée de 8 heures au turbin, mais passent la nuit sans se lever.  [img]Source: iStockphoto/Thinkstock

Une équipe de chercheurs (Negoro, H., et al. 2012) ont relevé la production d'urine en fonction du temps avec un système apparenté à un ruban enregistreur qui se déroule sous la souris et enregistre les moments et la quantité d'urine produite en mesurant la taille des taches sur le ruban (Cf fig 2.)
Ils ont comparé des souris normales et des souris au rythme circadien déficient – à cause de l'absence des gènes Cryptochrome-1 et  Cryptochrome-2 .
Les souris normales montraient un rythme de miction qui variait : plus élevé la nuit (où les souris sont actives) que la journée où elles dorment. Les souris au rythme circadien perturbé ne montaient pas de rythme défini (Cf figure 2c). Comme la production d'urine est constante, les chercheurs supposent que c'est la réceptivité des muscles lisses de la vessie aux signaux nerveux qui l'informent que la vessie est pleine (via la Connexine43) qui varie et oblige la souris à une miction plus fréquemment lorsqu'elle est éveillée soit de nuit. "
" Comme si, pendant les périodes de sommeil (le jour), les cellules musculaires lisses "entendaient" moins bien le message "vessie pleine". Pendant les heures de veille (la nuit), ces cellules produisent plus de Cx43/GJA1, protéine qui les sensibilise aux signaux cholinergiques et donc les souris font plus pipi. On pense que chez les êtres humains, la même chose se passe, si on raisonne en termes de veille/sommeil (mais dans ce cas, il faut inverser le jour et la nuit)." précise Anne Estreicher du SIB.
Les auteurs expliquent que les muscles de la vessie ont un rythme circadien interne qui fait osciller le taux de Connexine 43 comme l'activité des gap junction (le grand dictionnaire des termes du Québec propose jonction communicante n. f.)  sous le contrôle d'un gène circadien appelé Rev-erbα .
" Si j'ai bien compris, l'idée est la suivante: Cx43 fait partie d'un canal entre 2 cellules. Lorsqu'une cellule est activée par un signal extérieur, des changements "chimiques" vont se passer à l'intérieur de cette cellule. Si elle est reliée à d'autres cellules par ces "jonctions communicantes", les changements vont être perçues par les autres, sans qu'elles aient été nécessairement elles-mêmes en contact avec le signal extérieur. Le signal se transmet tout seul dans une sorte de réaction en chaîne par l'intérieur des cellules. Je ne connaît pas les détails, mais on peut très bien imaginer une transmission du signal beaucoup plus efficace dans des conditions de communication intercellulaire. La protéine Cx43 est détruite quand on va vers le temps de repos. Comme il n'y a plus de communication entre les cellules, le signal nerveux va passer moins efficacement. " Anne Estreicher SIB qui a complété l'entrée Cx43 dans UniProt

Fig.2 :a) Un système apparenté à un ruban enregistreur qui se déroule sous la souris enregistre les moments et la quantité d'urine produite en mesurant la taille des taches sur le ruban. b) un exemple de ruban avec les taches d'urine  c) les quantités mesurées en fonction du temps : souris sauvages en haut, déficientes du rythme circadien en bas. [img]Source: Negoro, H., et al. 2012)

Les auteurs suggèrent que la recherche pourrait aider à comprendre les problèmes d'énurésie et d'incontinence chez les enfants ou les personnes âgées en explorant les effets de l'horloge circadienne. 

L'existence d'un tel mécanisme chez l'humain est évidemment possible et encore à démontrer, mais j'ai vérifié et trouvé  la Connexine43 humaine @ Uniprot  et la Rev-erbα humaine @ UniProt.
On pense que chez les êtres humains, la même chose se passe, si on raisonne en termes de veille/sommeil (mais dans ce cas, il faut inverser le jour et la nuit)." précise Anne Estreicher du SIB.

L'accès à ces vérifications en classe, en quelques instants ouvre des opportunités splendides de proposer ou faire découvrir aux élèves des élément de preuve de l'évolution,  de la place des humains parmi les animaux et comme attitude scientifique : "eh bien vérifions ce que nous pouvons vérifier ! "
J'avais entendu parler d'une sorte de capteur de position dans la vessie qui rendrait la vessie pleine plus supportable en position horizontale (Negoro, H., et al. 2012) n'en parlent pourtant pas...
" L'idée est que les espèces ont développé une capacité urinaire à géométrie variable pour qu'un petit besoin physiologique intempestif n'interrompe pas, ou le moins possible, leur sommeil. La souris dormant le jour, c'est à ce moment qu'elle fait le moins pipi. Chez l'homme (et la femme), c'est l'inverse. Il  s'agit […]de la réceptivité des muscles lisses de la vessie aux signaux nerveux qui l'informent que la vessie est pleine. Comme si, pendant les périodes de sommeil (le jour), les cellules musculaires lisses "entendaient" moins bien le message "vessie pleine". précise Anne Estreicher du SIB.

Sources

  • The Bladder's Biological ClockScienceShot: 1 May 2012 
  • Negoro, H., Kanematsu, A., Doi, M., Suadicani, S. O., Matsuo, M., Imamura, M., Okinami, T., et al. (2012). Involvement of urinary bladder Connexin43 and the circadian clock in coordination of diurnal micturition rhythm. Nature Communications, 3, 809. doi:10.1038/ncomms1812
Updates :
4 VI 2012 : Corrections sur le mécanisme d'action de la connexine et rectification du rythme circadien nocturne de la souris. Merci à Anne Estreicher du SIB.

jeudi 17 mai 2012

L'acide lactique, mythes et récentes découvertes

L'acide lactique n'est pas la cause des courbatures, le massage ne l'élimine pas, et c'est plus un véhicule d’énergie entre tissus qu'un toxique…

On invoque souvent l'acide lactique pour expliquer les courbatures, les crampes, et certains thérapeutes  expliquent l'efficacité de leurs gestes professionnels en évoquant l'élimination de l'acide lactique qui se serait accumulé. Or on sait que les courbatures du lendemain sont des micro-déchirures du muscle et que l'acide lactique s'élimine dans les minutes qui suivent l'effort. On a aussi largement présenté l'acide lactique comme un sous-produit toxique de l'effort anaérobique, dans les muscles notamment. Une nouvelle interprétation et des données nouvelles révèle que cette molécule a plutôt un rôle de transporteur d'énergie entre les tissus.

Le massage n'élimine pas l'acide lactique accumulé...

Fig 1 : Le massage stimule des gènes qui activent la réparation et la cicatrisation tout en limitant l'inflammation .  [img]Source : massagepanamacitySi personne ne remet  en cause l'efficacité de ces gestes, le mécanisme biologique par lequel des manipulations adéquates modifient les mécanismes menant à la douleur restait un mystère. Une étude récente Crane, J. D, et al. (2012) rapportée dans ScienceNow ici (révèle comment un massage bien fait peut réduire la douleur après l'effort musculaire en activant certains gènes impliqués dans la réparation des tissus et la limitation de l'inflammation, et contredit la croyance qu'on évacuerait l'acide lactique ou des produits accumulés dans le muscle fatigué ou blessé "Muscle inflammation and pain are typically present when damage to the myofibrillar structure has occurred. "Crane, J. D, et al. (2012).  Get-a-doi   

Fig 1 : Le massage stimule des gènes qui activent la réparation et la cicatrisation tout en limitant l'inflammation .  [img]Source : massagepanamacity

Cette étude  montre que ces manipulations thérapeutiques réduisent l’activité de gènes de l'inflammation et stimulent les gènes favorisant la réparation des muscles.


Les sujets ont fait un effort jusqu'à ne plus pouvoir continuer (70min), puis certains ont reçu un massage d'autres non et les chercheurs ont comparé les profils d'expression du génome juste après l'effort et 2h30 plus tard.



Fig 2 : Le dispositif expérimental.  [img]Source :Crane, J. D, et al. (2012) 

Les profils d'expression montrent  que 592 gènes sont activés immédiatement après le massage soit 30 minutes après l'effort et  1309 gènes 2h30 après le massage ( 3h après l'effort). N=11.  En comparant les gènes activés entre ceux qui ont eu le massage et les autres ils ont identifié 9 gènes dont l’activation diffère. On peut mentionner la  Nucleoporin 88 kD qui transporte NFκB (impliqué dans la régulation de l'inflammation) dans le noyau et la filamin B, (β (actin-binding protein 278) dont la fonction est de joindre les filaments d'actine) ) cf table 1. Les auteurs indiquent prudemment une modification de l’activité de gènes favorisant la réparation des muscles (PGC-1alpha) juste après le massage et des gènes de l'inflammation (NFkB) un peu plus tard.
"Overall, this profile suggested that massage altered processes related to the cytoskeleton and to inflammation, with the former process being activated early after massage and the latter induced later in recovery. "
Cette recherche est vulgarisée dans Science et Vie avec de très belles illustrations, un peu de mise en perspective des résultats, une bonne dose de superlatifs et l'inévitable mention d'un chercheur français qui "10ans avant ... " avait eu une intuition !
C'est sûrement le seul à avoir eu des intuitions à cette époque... ;-)
  • Hancok, Coralie. (2012) Massage: Nos gènes adorent, Science et vie Avril 2012 p.80-84  Extraits intranet.pdf
Cette recherche donne ainsi une crédibilité médicale à un geste dont l'efficacité est reconnue depuis longtemps.  Au fond cette crédibilité était-elle nécessaire ? L'efficacité thérapeutique démontrée scientifiquement ( le plan médical) n'est pas automatiquement liée à la compréhension du mécanisme sous-jacent (le plan biologique).
A la limite je préfère être soigné par un physio / kiné qui a des gestes efficaces et des explications disons... enjolivées, que par les chercheurs de cette étude auprès desquels je vais par contre chercher les savoirs à enseigner.
Effectivement, dans une perspective didactique de la biologie, cette étude apporte de nouvelles données et de nouveaux liens étayant les modèles présentés aux élèves. De quoi répondre à l'excellente – mais dérangeante – question "Mais comment vous le savez, ça m'sieur ? ".

Gageons pourtant qu'on entendra longtemps encore des gens parler d'évacuer l'acide lactique... tant l'analogie avec le tube dentifrice qu'on presse  est simple et convaincant comme modèle d'explication ! 
On sait bien que ces modèles-là s'installent durablement, indépendamment de leur lien avec les données expérimentales et le consensus de la science. 
Elles se transposent en classe Chevallard, Y. (1991) et se vulgarisent en perdant inévitablement leurs liens avec les recherches qui les fondent : La percolation des découvertes scientifiques dans la presse. Bio-Tremplins 3 septembre 2010.

L'acide lactique : un toxique à éliminer ou un transporteur d'énergie entre tissus ?

De nombreux textes éducatifs évoquent d'ailleurs l'acide lactique comme un sous-produit défavorable ou toxique du fonctionnement anaérobie des muscles. 
"Pendant la Fermentation lactique (glycolyse anaérobie) le glucose est transformé en lactate (toxique) à partir du pyruvate dans les muscles durant un effort physique. Le lactate est ensuite transporté via le sang dans le foie ou il peut être détoxifié en le retransformant en pyruvate ."
Ce qui est intéressant est que le rôle toxique est mis en avant et non pas la richesse en énergie du lactate et donc le transfert d'énergie qui se produit.
Sans parler de toxicité, d'autres présentent les mêmes flux comme plutôt négatifs  "Le lactate qui s'accumule dans les muscles peut causer de la fatigue et de la douleur, mais la circulation le transporte graduellement au foie, dont les cellules possèdent les enzymes nécessaires pour le convertir en pyruvate."  Campbell, N. A.,et al. (2004).  p. 185.


Fig 3 : Le lactate comme métabolite intermédiaire dans la navette intercellulaire .  [img]Source : Bengt Kayser Unige 2012
Sans remettre en question les voies métaboliques et les régulations, les effets comme le seuil d'apparition du lactate dans la mesure de la VO2 et les limites du métabolisme anaérobie, de nombreuses recherches – déjà plus très récentes – indiquent que cette molécule joue un rôle important comme transporteur d'énergie entre tissus.

La danse du lactate entre les muscles et d'autres organes

Le Prof Bengt Kayser indique dans ses cours aux étudiants de médecine  "Lactate: pas un déchet mais un métabolite intermédiaire" Cf. Figure 3.  Lecteur régulier des Bio-Tremplins,  il a attiré notre attention sur ce changement de perspective et nous a transmis un Review : Gladden, L. (2007) Comment  Obtenir un article mentionné : Get-a-doi   qui indique ( je traduis) "que la navette intercellulaire du lactate "cell-to-cell lactate shuttle " a été introduit en 1984 et a été confirmée par de nombreuses expériences utilisant diverses approches expérimentales. A cause de sa masse et de sa capacité métabolique, le muscle squelettique est probablement le composant majeur de cette navette, en termes de production et de consommation. Les muscles en activité sont d'avides consommateurs de lactate, l'utilisant principalement comme carburant oxydatif. Le muscle cardiaque est fortement aérobie et utilise facilement le lactate comme carburant. Le lactate est un substrat majeur pour la guconéogénèse dans le foie : l'utilisation du lactate augmente quand son taux sanguin augmente. Même le cerveau utilise du lactate quand son taux s'élève."

Fig 4 : La navette intercellulaire du lactate. [img]Source : Gladden, L. (2007). Comment  Obtenir un article mentionné : Get-a-doi 

Selon Gladden, une navette intracellulaire a même été proposée mais fait encore l'objet de débats, ainsi que la participation de l'acide lactique à l'équilibre acide-base. L'auteur souligne  que le produit du métabolisme est le lactate et non l'acide lactique : Appréciez les précautions oratoires de Gladden : "Careful analysis reveals that lactate, not lactic acid, is the substrate/product of metabolic reactions". On est loin des affirmations de la science vulgarisée : Je vois bien Science et Vie titrer "L'acide lactique réhabilité, la révolution énergétique dans notre corps " ou : "l'acide lactique : une énergie renouvelable circule dans nos veines! " 

Une explication délicieusement simple à retenir ou complexe et scientifiquement étayée ?

Remarquez que si je me permets d'être un tantinet ironique – si si très chère virgule, je le reconnais – je dois reconnaitre que ces articles s'adressent à un public beaucoup plus large que Gladden ou ceux de Science et Nature. Et cet éventail de littérature scientifique est sans doute nécessaire.
En fait, plutôt que de classer les revues - ou leurs différentes rubriques - selon si elles sont plus "vraie" ou  plus "scientifique" je pense qu'il s'agit de distinguer des documents qui suscitent les questions auprès des élèves,  de ceux qui fournissent des réponses...
Et quand à la manière ont on les utilise en classe, de décider si – et dans quelle mesure – le rôle de l'enseignement de la biologie serait de simplifier pour que les élèves comprennent - au risque de leur donner l'impression que la science est une masse de faits simples et définitifs à apprendre. Ou si on veut leur donner envie de savoir et les guider pour affronter avec les outils d'analyse de la science des phénomènes complexes, des interprétations qui changent avec les nouvelles données et où les certitudes sont forcément transitoires.
Sur le plan citoyen je me suis laissé dire qu'une contribution à la prévention des extrémismes simplistes serait également de former de gens capables d'affronter un monde qui est complexe, qui change et où les certitudes sont forcément transitoires.
Si l'école ne le fait pas ... qui le fera ?

Sources  :
Comment  Obtenir un article mentionné : Get-a-doi  

  • Campbell, N. A., & Reece, J. B. (2004). Biologie: De Boeck.
  • Chevallard, Y. (1991). La transposition didactique. Du savoir savant au savoir enseigné (2e éd. revue et augmentée, 1985 lre ed.). Grenoble: La Pensée sauvage.
  • Crane, J. D., Ogborn, D. I., Cupido, C., Melov, S., Hubbard, A., Bourgeois, J. M., et al. (2012). Massage Therapy Attenuates Inflammatory Signaling After Exercise-Induced Muscle Damage. Science Translational Medicine, 4(119), 119ra113. doi: 10.1126/scitranslmed.3002882
  • Gladden, L. (2007). A "Lactatic" Perspective on Metabolism. Medicine & Science in Sports & Exercise, 40(3), 477-485. doi: 10.1249/MSS.0b013e31815fa580
  • Hancok, Coralie. (2012)Massage: Nos gènes adorent, Science et vie Avril 2012 p.80-84  Extraits intranet.pdf
  • Massage's Mystery Mechanism Unmasked. ScienceNow 1 February 2012,

mercredi 2 mai 2012

Prof. Jan Pawlowski,  La biodiversité en code-barres - rêve ou réalité?

conf Pawlowski

Swiss Life Sciences 2012 8 mai 2012 à 18h30 Auditoire U600 Uni-Dufour.  Cf plus bas pour les détails.


Comment former nos élèves à un monde ou la biologie est information plus que molécules ?

Les séquenceurs d'ADN de plus en plus abordables et les bases bioinformatique changent tous les domaines de la biologie, mais aussi manière dont la biologie s'insère dans notre société.

D e plus en plus on identifie les espèces par un séquençage - de plus en plus rapide, de moins en moins cher – on se connecte à une base de données et le nom de l'espèce ressort et offre l'accès à une masse d'information sur cette espèce dont les gens font usage pour leur activité professionelle, leur recherche, leurs intérêts.
Le principe est simplifié, mais on n'est pas loin de cela.
Nous avions évoqué la question il y a quelques temps dans une Bio-Tremplins  :  Le code-barre pour la détermination en botanique ?
determiner
            les plantes à l'ancienne ? code-barre-bio-informatique : possible un jour ?
Fig 1 : Une botaniste détermine les plantes dans la nature à l'aide d'un guide a)[ img ] Photo F. Lombard ... et peut-être à l'aide d'un micro-séquenceur dans le futur ? (il s'agit d'une anticipation possible selon le Consortium for the Barcode of Life (CBOL) . b)[ img ]Source: CBOL.

Un scanner-séquenceur de poche, une connexion aux bases de séquences et hop on a déterminé l'espèce et bien plus encore

Un peu sur le modèles de ces logiciels scanners de code-barre déjà existants qui identifient le n° ISBN, se connecte à des bases de données et vous trouve la référence complète du livre, son abstract, son prix ( exemple ) . Tout ça en quelques secondes...

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On peut imaginer qu'un jour proche, un appareil manuel permette de déterminer l'espèce,... peut-être un petit accessoire à brancher sur votre iPhone.
Il parait raisonnable d'imaginer que de tels appareils se généralisent dans le monde auquel nous préparons nos élèves... pour vérifier la provenance du poisson qu'on mange, pour identifier la plante qu'on cultive, pour vérifier l'importation illégale d'espèces,  pour vérifier que les médicaments naturels sont bien ce qu'ils disent être,…

Le séquençage dans les mains du consommateur ?

Ce sont des questions qu'un consommateur peut se poser.  La FRC se les pose déjà et y répond avec des études de labo pour vérifier la nature des aliments. Dans ce cas ce sont des tests classiques par empreinte génétique, mais l'idée de vérifier ce qu'on achète par l'ADN et les bases de données bioinformatiques est déjà une réalité. 
  • FRC (2010) 1 POISSON SUR 4 … les tests adn pratiqués sur les poissons de mer vendus en suisse romande révèlent que l'espèce vendue n'est pas la bonne dans un cas sur 4.
Que des consommateurs se promènent bientôt dans les rayons du supermarché ou entre les étals d'un marché avec un tel séquenceur de poche et une connexion aux bases biologiques pour vérifier si le produit Bio est bien ce qui est annoncé parait très probable ...
  fruits-legumes        -->     
Fig 2 : Comment préparer les élèves à un monde ou la systématique est utilisée bien plus largement dans les activités professionnelles, citoyennes et de consommateur 
(il s'agit d'une anticipation possible... et oui je sais UniProt est une base  de protéines, pas d'ADN !) Uniprot.org

Pour vérifier la composition des médecines alternatives ?

Sur le plan de la recherche, une étude récente (Coghlan, M. L. 2012)  séquence l'ADN de deux gènes, trnL , un gène des commun a toutes les plantes, et 16srRNA , commun aux plantes et aux animaux. Avec cette technique, ils ont étudié la composition de médicaments de médecine traditionnelle chinoise. Ils ont trouvé de traces de plantes des genres Ephedra et Asarum susceptibles de contenir des substances toxiques comme l'acide aristolochique, interdit dans de nombreux pays parce qu'il cause des maladies rénales et une forme de cancer ( upper urinary tract : UUC). Ce toxique a été trouvé dans plusieurs échantillons de préparations phytothérapiques.  Un médicament censé contenir de l'Antilope saiga - une espèce en voie d'extinction - contenait aussi de la chèvre et du mouton.
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Fig 3 : Censé contenir de l'Antilope saiga - une espèce en voie d'extinction - ce produit contient aussi de la chèvre et du mouton.  [ img ]Source  M. L. Coghlan et al., PLoS Genetics, 8 (April 2012):


Comment préparer nos élèves une majorité de NFB (Non-Futur-Biologistes) à un monde où la connexion d'un séquenceur et des bases bioinformatiques est  courante...
Comment enseigner la botanique, l'écologie,  l'évolution ?
Faut-il prendre : « la distance par rapport à l'urgence de l'intervention technique et sociale, permettant la mise en question critique des savoirs et de leur fonctionnement individuel et social » Rumelhard, G. (1995) prone le  « le refus du fétichisme de la modernité, de la recherche du savoir le plus récent trop souvent couplé au prophétisme des découvertes à venir ».
En même temps ignorer complètement un changement profond de la biologie devient de plus en plus difficile à défendre...

Mais alors comment adapter nos enseignements pour former des citoyens capables de décisions responsables dans ce monde-là ?

Nos cours sur la classification les préparent-ils bien a ce monde-là ? On peut se demander si une approche presque inverse... (apprendre à se situer une espèce identifiée dans une taxonomie accessible, savoir s'y repérer et la mettre en relation avec d'autres savoirs, en connaître les limites) aurait du sens dans certains cas ?
Pas facile... en tous cas une magnifique conférence est proposée par l’université, qui peut nous aider sur le plan de la biologie sur laquelle tout cela repose. Et pour avancer la réflexion sur cette manifestation de plus du virage de la biologie vers le traitement de l'information.

La biodiversité en code-barres - rêve ou réalité?


Conférence Prof. Jan Pawlowski 8 mai 2012 , 18h30 U600, Uni Dufour Tout public Plus d'info
8 mai 2012 à 18h30
Auditoire U600 Uni-Dufour
Flyer (2 039 Ko,)

seiche

Fig 4 : Un code-barre vivant ? .  [ img ]Source :université de Genève 


Les analyses génétiques de l’environnement révèlent que nos connaissances de la biodiversité sont très lacunaires. Étant donné que chaque espèce vivante possède un petit fragment d’ADN qui lui est propre, ces séquences spécifiques pourraient être utilisées comme des «code-barres génétiques» dans la constitution d’une encyclopédie de la vie.
La conférence abordera les enjeux de la création d’un inventaire génétique de la biodiversité, ainsi que les innombrables perspectives de recherche et d’applications qui en découlent. 

Sources

  • Labo du prof Pawlowski
  • Coghlan, M. L., Haile, J., Houston, J., Murray, D. C., White, N. E., Moolhuijzen, P., Bellgard, M. I., et al. (2012). Deep Sequencing of Plant and Animal DNA Contained within Traditional Chinese Medicines Reveals Legality Issues and Health Safety Concerns. PLoS Genet , 8 (4), e1002657. doi: 10.1371/journal.pgen.1002657
  • Rumelhard, G. (1995). De la biologie contemporaine à son enseignement. In Develay.M. (Ed.), Savoir scolaire et didactique des disciplines (pp. 317). Paris: ESF.

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