mercredi 8 octobre 2014

Le retour de la culpabilisation des mères avec l'épigénétique ?

L'épigénétique consacre l'effet des conditions de vie sur la descendance : … et la faute des mères ?

L'épigénétique ouvre un nouveau chapitre dans la transmission entre les générations : on recherche non seulement dans les gènes des parents les causes de caractéristiques des enfants, mais aussi dans leurs circonstances de vie, qui peuvent avoir modifié de manière transmissible l'expression de ces gènes, mais pas la séquence de nucléotides (ATGC) de l'ADN.  Or une interprétation des résultats de recherche centrée sur la mère pourrait conduire à blâmer les mères de manière excessive, dit un article Nature Comment par Richardson et al.

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Fig 1: L'épigénétique risque sournoisement de faire resurgir une culpabilisation des mères selon Richardson et al. (2014)  [img] source MEGAMIX/GETTY

L'épigénétique rouvre un chapitre fascinant sur les mécanismes de la transmission entre les générations.  La grande séparation entre ce qui serait transmis par la génétique et ce qui serait transmis par l'éducation et la culture - parfois réduit à une opposition nature - culture - ne permet plus vraiment de prendre en compte toutes les données que nous avons.
Depuis longtemps des généticiens comme Albert Jacquard (2001) disaient de l'intelligence qu'elle serait 100% acquise et 100% culturelle, signifiant par là que les 2 sont critiques et c'est de leur interaction que résulte le comportement, la caractéristique, ...).
En filigrane on peut deviner l'opposition entre les effets de l'éducation ou de la société et ce qui a été appelé le dogme central de la biologie (ADN-ARN-Protéine). Ce modèles est sérieusement nuancé et complété depuis plusieurs années (Bio-tremplins 6 janvier 2009 : 1 ADN-> 1ARNm -> 1 protéine : faux ou... vrai à 6% seulement ?). L'épigénétique apporte de nouvelles données et oblige à réviser les modèles très déterministes.

Les causes des troubles chez les enfants à chercher chez les parents ?

Du coup on commence à chercher non seulement dans les gènes des parents les causes de caractéristiques des enfants, mais aussi dans leurs circonstances de vie, qui peuvent avoir modifié de manière transmissible l'expression de ces gènes, mais pas la séquence de nucléotides (ATGC) de l'ADN.  (Bio-tremplins13 mars 2014 :  L'épignénétique … le grand retour du Lamarckisme ? ).
Ainsi Selon Hughes, V. (2014), depuis les années 2000, des recherches ont montré que des facteurs environnementaux - depuis la négligence maternelle et la maltraitance infantile  jusqu'à un régime trop riche en graisses ou la pollution de l'air - pouvaient influencer de manière transmissible le degré de méthylation de l'ADN et finalement l'activité de ces gènes).


Fig 2: L'épigénétique risque de faire
sournoisement resurgir une culpabilisation des mères selon Richardson et al. (2014)  [img] source 20th Century Fox/The Kobal Collection

Le fait que le comportement du parent puisse influencer les enfants n'est pas nouveau, mais la manière dont les médias traitent ce thème révèle aussi des implicites ... un peu troublants.

Un  article récent (Nature Comment par Richardson et al. ici)  argumente que la présentation dans les médias de l'épigénétique stigmatise les mères tout particulièrement. L'article relève que les médias  parlent des effets du régime alimentaire de la mère sur l'ADN du bébé (BBC ici ) , de la transmission aux enfants du traumatisme des femmes enceintes lors du drame terroriste du 9 septembre au tours du World Trade Center  (Guardian ici). Les autres facteurs comme la contribution paternelle, le mode de vie familial, ou l'environnement social reçoivent moins d'attention, disent Richardson et al.

Ces questions font partie d'un domaine nommé developmental origins of health and disease (DOHaD). Les résultats de ces recherches  devraient permettre d'aider les parents et les enfants et guider les politiques, mais Richardson et al. montrent que l'exagération et la simplification excessive de ces résultats peuvent conduire à montrer du doigt les mères et leur comportement, voire inciter à surveiller les femmes enceintes. 

La stigmatisation des femmes ... une vielle histoire

Richardson et al. présente une série de cas où la femme a été désignée comme coupable des maux de l'enfant, par exemple avec l'alcool (fetal alcohol syndrome = FAS),  les femmes exposant leur enfant à la cocaïne (souvent de condition socio-économique défavorisée ou de minorités raciales, aux USA c'est un point très sensible politiquement). Les auteurs évoquent aussi les "mères-frigo" (terme dévalorisant pour les femmes peu chaleureuses) cf. l'article ici.

Les auteurs contrastent deux exemple de présentation des résultats de recherches. Un premier reflète de manière responsable une recherche. Tout en montrant qu'une grippe durant la grossesse multipliait par quatre le risque de trouble bipolaire on montre  que ce risque restait faible et qu'on peut traiter ce trouble   (go.nature.com/p2krhs). A l'inverse une recherche de 2012 sur des rats de F2 (deuxième génération) de rates soumis à un régime riche en graisses durant la gestation : ils montrent que ces rats ont 80% de chances de développer un cancer au lieu de 50% pour les rates du groupe témoin. Cet article n'indiquait pas que ces rates étaient élévés dans des conditions favorisant le cancer, ni que la F3 des rates au régime riche semblaient avoir moins de cancer.  Certains slogans de prévention présentaient ces résultats de manière culpabilisante "Vous devriez être inquiets des habitudes alimentaires de votre grand-mère" 'Why you should worry about grandma's eating habits'

Fig 3: L'épigénétique comme cause de la criminalité Source : http://www.beginbeforebirth.org

Richardson et al. discutent une vidéo du site beginbeforebirth.org/ (produit par des chercheurs du Imperial College London) présentant un jeune cf figure 3 qui sort de prison et établissent un lien avec le stress de sa mère durant sa grossesse qui ne s'est pas assez occupée de lui. Ils  suggèrent que mieux prendre en charge les femmes enceintes pourrait être un moyen de prévenir la criminalité  : "Could better care of pregnant women be a new way of preventing crime?" .

La société influence les représentations dans les ouvrages scientifiques

On peut mettre en relation cette étude avec des travaux montrant que les ouvrages de biologie représentent les muscles et les mouvements intenses et extrêmes par des exemples masculins et les muscles lisses ou les hormones par des exemples féminins (Collet, I. 2014).

Fig 4: Le choix des images n'est pas neutre selon (Collet, I. 2014)  source gauche: Larousse (2006). L'aventure du vivant, Droite . Campbell , Biologie (2011)

Ainsi les valeurs de la société marquent en filigrane nos documents - même à propos de concepts scientifiques comme la physiologie ou l'épigénétique.  Difficile à éviter d'autant plus que comme nous baignons dans cette société, il est difficile d'en prendre conscience.

Que faire ?

Richardson et al. proposent d'être attentif sur 4 aspects 
  • Eviter d'extrapoler les résultats d'autres animaux à l'homme sans nuancer. Leur durée de vie brève en fait des modèles assez discutables pour la reproduction humaine.
  • Souligner les effets paternels et maternels : cela pourrait compenser la tendance a associer les effets défavorables aux mères.
  • Souligner la complexité : l'exposition intra-utérine peut augmenter ou diminuer les risques, mais une foule d'autres facteurs génétiques, environnementaux, sociaux ou de style de vie peuvent avoir des effets sans parler de leurs interactions qui sont encore mal connues.
  • Prendre en compte le rôle de la société : de nombreux effets intra-utérins qu'identifie la DOHaD sont aussi fortement corrélés à des variables sociétales comme le statu socio-économique, le genre ou la race (Richardson et al emploient ce mot) . Cela met en évidence la nécessité de changements de société plutôt que des solutions individuelles
"The relatively small effect size of the AVPR1A polymorphism on traits tentatively reflecting pair-bonding in males observed in this study clearly does not mean that this polymorphism may serve as a predictor of human pair-bonding behavior on the individual level. However, by demonstrating a modest but significant influence of this gene on the studied behavior on the group level, we have provided support for the assumption that previous studies on the influence of the gene coding for V1aR on pair-bonding in voles are probably of relevance also for humans. "   (Walum, H., et al. 2008).

Lecture critique …

Nous relevons que la plupart de ces points font partie d'une lecture critique de la vulgarisation scientifique :
  • les risques de l'extrapolation et la complexité : présenter des conclusions comme des certitudes sans en discuter la portée au regard des méthodes est une sorte de malédiction inévitable de la vulgarisation et la transpositin didactique.
    Bio-Tremplins a discuté par exemple comment une conclusion très nuancée (cf encadré) devient le "gène de la fidélité masculine"  L' amour, poésie ou molécules ?(Bio-Tremplins du 20 avril 2009)
Les auteurs du Commentaire dans Nature (Richardson et al.) concluent en relevant que modérer la culpabilisation des mères pourrait tempérer l'enthousiasme pour l'épigénétique  et la DOHaD, mais permettrait d'améliorer la santé sans contraindre la liberté des femmes.
"Although remembering past excesses of 'mother-blame' might dampen excitement about epigenetic research in DOHaD, it will help the field to improve health without constraining women's freedom." (Richardson et al. 2014)

Les mères au centre …

Nous nous permettrons d'ajouter que cette façon de blâmer les mères nous semble reposer sur une vision des rôles parentaux où la mère est au centre des interactions assurant le développement de l'enfant et accorde peu d'importance au père.
Peut-être que les pères jouent des rôles aussi importants dans le développement des enfants et assument de contribuer aussi aux traces - notamment épigénétiques - qui construisent leurs enfants  ?

Sources :

  • Collet, I. (2014). Vermittlung von Genderkompetenz in der Ausbildung von Biologielehrer_innen. In. Schneider, E. & Baltes-Löhr, C. Normierte Kinder. Bielefeld : transcript.
  • Hughes, V. (2014). Epigenetics: The sins of the father. Nature, 507(7490), 22‑24. doi:10.1038/507022a
  • Jacquard, A., Kahn, A., & Papillon, F. (2001). L'avenir n'est pas écrit: Bayard.
  • Richardson, S. S., Daniels, C. R., Gillman, M. W., Golden, J., Kukla, R., Kuzawa, C., & Rich-Edwards, J. (2014). Society: Don't blame the mothers. Nature, 512(7513), 131‑132. doi:10.1038/512131a
  • Walum, H., Westberg, L., Henningsson, S., Neiderhiser, J. M., Reiss, D., Igl, W., … Lichtenstein, P. (2008). Genetic variation in the vasopressin receptor 1a gene (AVPR1A) associates with pair-bonding behavior in humans. Proceedings of the National Academy of Sciences, 105(37), 14153‑14156. doi:10.1073/pnas.0803081105

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